«La contradiction est la règle d'or»

Expo / Entretien avec le photographe Jean-Antoine Raveyre à l'occasion de l'exposition «Amours» au Musée Paul Dini. L'artiste revient sur sa méthode de travail et sur l'une de ses très belles images, Cœur, bouche, action et vie. Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave

Petit Bulletin : Votre mode de travail photographique est singulier : vos images sont composées comme de véritables mises en scène cinématographiques. Pourriez-vous décrire ce processus et dire pourquoi vous travaillez ainsi ?
Jean-Antoine Raveyre : Le processus est long vous l’imaginez bien. Intuition, écriture, croquis, recherche et documentation. Budgétiser la réalisation, chercher les productions, financer la mise en scène. Chercher ou réaliser les accessoires, construire le décor, manipuler le décor… Cette méthode de travail est laborieuse, mais utile, car le souhait est la réalisation en intégralité des mises en scène en chantier.

Vous parlez "d'images narratives"... En quoi le médium photographique vous permet d'ajouter au narratif une certaine ambiguïté entre réel et fiction par exemple ?

Par excellence, la photographie est le mensonge d’une vérité, le choix du cadrage et le moment arrêté par le photographe témoignent d’une opinion dirigée et donc fausse. Il me semble juste d’introduire ces questionnements «vérité, mensonge» ou «réalité, fiction» au cœur du travail d’écriture des mises en scène. De plus, les lectures multiples sont plus généreuses.

Vous parlez aussi de réalité psychique : vos images relèvent-elles alors de l'image psychique, du rêve, du fantasme ?
De plus en plus. Les histoires que je rédige parlent de l’intimité d’un personnage et cela jusque dans ses rêves.

Quelles sont vos sources d'inspiration ? On pense beaucoup à Jeff Wall par exemple en regardant vos photographies ?

Jeff Wall propose une photographie cinématographique d’auteur, à la façon des cinéastes européens de la nouvelle vague. Je pense à Antonioni ou à Godard. Il est aussi dans une photographie hyperréaliste influencée par le reportage. L’art américain me fascine beaucoup, j’ai grandi entre autre avec son cinéma. Finalement aujourd’hui, tout m’oppose aux travaux de Wall, excepté que l’on a dans le travail une relation commune avec la peinture classique. Lui pour des raisons d’ordre historique et philosophique. Quant à moi, je suis dans le sensible, la poésie et le subjectif. Je me sens finalement plus proche du travail du photographe Gregory Crewdson, qui met en scène l’univers mental des personnages photographiés...

Pourriez-vous nous décrire un peu en détail l'élaboration de «Cœur, bouche, action et vie», titre d'une cantate de Bach ?

Quand j’écoute de la musique (souvent du classique ou des opéras) il se passe quelque chose que je n’explique pas, quelque chose que l’on ne peut traduire autrement qu’en l’éprouvant. Je cherche cette chose là, et je ne sais jamais si je l’ai trouvée. Pour me donner la chance de pouvoir toucher du bout des doigts cette chose, j’ai conçu la photographie "Cœur, bouche, action et vie" sur les méthodes de composition, de gammes, de rythmique et d’harmonie. C’est peut-être bête, mais qui ne tente rien…

Cette image a-t-elle pour vous un sens précis ou est-elle au contraire une image volontairement ouverte, trouble, énigmatique ?

Toutes les photographies que je réalise ont un sens très précis, j'écris mes images à l'avance. Il est important dans la méthode de travail d’être précis. Par contre, je ne souhaite pas que le sens soit particulièrement très lisible. Tout spectateur peut et doit se faire confiance quand il regarde une image, sans chercher l’intention déguisée par l’auteur. L’auteur fabrique la photo, le public regarde la photo. Le public ne regarde pas l’auteur, et l’auteur ne façonne pas le public.
Ici, le titre de l'image est tiré d'une cantate de Bach composée pour la fête de la Visitation de la Vierge et la mariée se tient le ventre. Elle est donc enceinte, et la question se pose de savoir si son mariage est un choix ou non. C'est le récit qui a servi de trame à la mise en scène, mais, je le répète, il n'y a pas d'intérêt particulier à ce que le public trouve le même sens que le mien.

Pourriez-vous aussi nous parler des contradictions présentes dans cette image : entre intérieur et extérieur, entre joie et tristesse, profondeur et planéité?
                                                                       La contradiction est la règle d’or en tout. La vie, l’amour, le bonheur, l’humanité, moi, les autres… Quelle richesse finalement que la contradiction, non ?

Repères: Jean-Antoine Raveyre est né à Saint-Étienne en 1977, où il vit et travaille. "Cœur, bouche, action et vie" (2010) est l'une des trois images qu'il expose dans le cadre de la très belle exposition collective «Amours» au Musée Paul Dini à Villefranche-sur-Saône, jusqu'au dimanche 18 septembre. On pourra découvrir le travail du photographe sur son site personnel (www.jaraveyre.com), et sur le site de la galerie Bernard Ceysson qui le représente (www.bernardceysson.com).

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