Penone et Kounellis dans le vif du sujet

Les deux expositions d'art contemporain les plus passionnantes du moment se déroulent à Saint-Etienne avec Jannis Kounellis et à Grenoble avec Giuseppe Penone. Deux artistes qui ont évolué, un temps, dans la mouvance de l'arte povera. Jean-Emmanuel Denave

En 1967, l'historien d'art Germano Celan baptise de sa plume une douzaine d'artistes italiens (dont Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Mario Merz, Michelangelo Pistolleto, Giuseppe Penone, Jannis Kounellis...) du nom d'«arte povera» ou «art pauvre». Soit autant d'artistes qui travaillent avec des matériaux naturels ou bruts, et qui militent pour l'appréhension directe des grands archétypes traversant les mondes minéral, végétal, animal et humain. Ce mouvement, comme tout mouvement, est beaucoup plus complexe et hétérogène qu'on ne le pense, mais se retrouve autour de quelques valeurs communes : tout peut faire sculpture ; l’œuvre n'est pas autonome contrairement à ce que prétend une certaine modernité artistique et le minimalisme américain en particulier ; le monde, l'art et la vie sont intimement liés entre eux. Il n'est pas question seulement dans l'arte povera d'un simple retour à la nature et à l'organique, mais d'un retour aussi de l'art aux "choses" culturelles, sociales, politiques. A partir de là, chacun fraye sa voie, Pistoletto dans la confrontation de matières contraires, Mario Merz vers l'élaboration d'habitats primitifs...

Catharsis

Jannis Kounellis (né en 1936 en Grèce, vivant à Rome depuis l'âge de 20 ans) a gardé de ses origines une certaine passion pour le théâtre antique et l'idée de catharsis chère à Aristote. Son théâtre de la réalité, plus proche de la présentation que de la représentation, offre en partage au visiteur des ambiances brutes et immédiates, des environnements, dramatiques et émouvants, composés souvent d'objets concrets à forte charge symbolique. Ce sont par exemple, à Saint-Étienne, des tas de charbon disposés ici et là, ou bien venant buter contre une toile blanche ; des plaques d'acier surmontées de sinistres crochets ; des baraquements lugubres et fermés sur leur propre secret... «Je suis le rejeton des deux après-guerres, déclare l'artiste dans un entretien, et c'est cette situation qui fait la différence, parce qu'elle change complètement le cadre. L'idée optimiste représentée par l'avant-garde historique n'existe plus et le contexte européen se caractérise par une situation plus ou moins anormale. C'est dans cette anomalie que je voudrais devenir peintre, cherchant à récupérer le sens d'une unité, malgré tout le reste...». Peintre au sens de la Renaissance donc, c'est-à-dire ouvrant une fenêtre sur notre époque, cherchant à relier des éléments que l'on voudrait volontiers séparer, et renouant avec une dimension humaniste au sens fort du terme. Créée pour le Musée d'art moderne, son installation sombre et radicale prend littéralement le visiteur aux tripes.

Métamorphoses

A Grenoble, Giuseppe Penone s'adresse moins aux tripes qu'au toucher, au souffle, à la peau... Il règne dans son exposition mêlant pièces anciennes et récentes une atmosphère délicate, poétique, qui peu à peu nous entraîne dans son univers et brouille les frontières habituelles entre les règnes minéral, végétal, humain. L'art de Penone est un art du passage et de l'entre-deux : entre nature et culture, entre corps organique et psyché, entre l'homme et son environnement. L'artiste sculpte son propre souffle en terre cuite, "dessine" une bouche avec des épines d'acacia, donne à sentir l'ombre grâce à une monumentale accumulation de feuilles de thé, représente la vision humaine à partir de drôles de silhouettes en bronze... «Tout mon travail est une réflexion sur la sculpture et les gestes les plus simples. L'étonnement réside en fait dans la simplicité des choses» résume Penone. «La sculpture est pour moi une prise de conscience de la réalité, au-delà des conventions. Je cherche la logique propre à la forme, la nécessité et la raison de la forme. Mon travail est toujours lié au faire, à la pratique qui ouvre à des connaissances. L'aspect esthétique vient parfois en plus, mais je ne le cherche pas pour lui-même». La sculpture n'est donc plus avec Penone un simple objet esthétique tourné sur lui-même, mais c'est une empreinte et un fragment du réel, une respiration du monde, une intuition des forces qui nous traversent. L'arbre est un de ses motifs récurrents, qui se mêle dans ses œuvres au corps humain, au marbre, à la lumière, à la peau animale... L'une des plus émouvantes consiste en la représentation d'un sous-bois réalisé en frottant des feuilles sur une toile contre les troncs même de ce sous-bois, comme si la forêt transmettait directement son image à la surface de la toile. Penone y a ajouté une silhouette mi-humaine mi-végétale, évocation possible du mythe de Daphné, et interprétation précieuse de la vie comme perpétuelle métamorphose.

Janis Kounellis
Au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne jusqu'au 4 janvier

Giuseppe Penone
Au Musée de Grenoble jusqu'au 22 février

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