Wes Anderson au format miniature

Obsédé par le design et les compositions esthétiques, Wes Anderson signe des œuvres dans lesquelles on se glisse comme on entre au musée. En exposant des pièces et maquettes monumentales empruntées à "Grand Budapest Hotel" et "Fantastic Mr. Fox", le Musée Miniature & Cinéma nous propulse donc dans ses films. Normal : chez Anderson, tout est symétrique…

Peut-on imaginer métier plus ingrat que celui de maquettiste pour le cinéma ? D’abord, parce que les œuvres conçues par ces minutieux artistes doivent se faire oublier, être invisibles en trompant le public — en s’effaçant derrière l’action par un procédé d’incrustation. Ensuite, parce que leur destin est de finir détruites, soit durant le film à l’occasion d’une spectaculaire explosion, soit à l’issue du tournage, à l’instar de la grande majorité des décors, trop volumineux et inaptes à bénéficier d’un quelconque recyclage. Tant d’heures de travail réduites à l’état de poussières, dont il ne subsistera parfois qu’une poignée de secondes à l’écran…

à lire aussi : Musée Miniature & Cinéma : si vous avez manqué le début…

Lorsque le tournage du Grand Budapest Hotel a été achevé, ses grandes maquettes auraient dû connaître ce funeste sort. Mais Wes Anderson, instruit de l’existence du Musée de Dan Ohlmann, désirait que trois d’entre elles soient récupérées et présentées à Lyon. Aussitôt, un projet d’exposition thématique a été lancé, d’autant plus facile à élaborer (sur le papier, en tout cas) qu'Anderson a toujours eu recours aux artisans des studios : «Il donne des lettres de noblesse à tous ces gens qui travaillent dans l’ombre détaille Dan Ohlmann. Wes est comme ces grands chefs sachant qu’ils ne feront de la très grande cuisine que s’ils ont un très bon maraîcher, un très bon boucher, etc. Wes adore ses miniaturistes ; il a d’ailleurs tellement aimé la miniature de l’hôtel qu’il l’a placée sur l’affiche de son film !» Mais cela reste un long voyage à accomplir pour une exposition, de la naissance d’une idée à son inauguration. Un peu comme une croisière à bord du Darjeeling Limited…

Détails de taille

Car exposer, c’est suivre une logique artistique. Choisir de manière cohérente les pièces les plus signifiantes. Préférer la qualité, non la quantité. Une trentaine de scènes et de personnages a été retenue dans Grand Budapest Hotel (2013) et Fantastic Mr. Fox (2010), son film d’animation en stop-motion inspiré de Roald Dahl, auxquelles s’ajoutent des éléments utilisés pour une publicité de voiture. Un ensemble que la commissaire de l’exposition Laurie Courbier a dû, pièce par pièce, localiser, acheminer, s’engageant à respecter les exigences drastiques de la 20th Century Fox, le studio propriétaire de la quasi totalité de ces trésors, pour la plupart jalousement conservés dans le secret des archives.

à lire aussi : Fantastique Maître Ohlmann

C’est ainsi qu’il a fallu faire appel à un décorateur dûment accrédité par le studio pour déballer et monter la pièce maîtresse, l’hôtel, qui jusqu’alors trônait au Hollywood Museum sur Hollywood Boulevard. Par chance, Simon Weisse, qui a supervisé sa construction (3 mois de travail pour 15 personnes !), habite Berlin. Découvrir son travail de près se révèle fascinant, d’autant que l’imposante maquette se trouve agrémentée d’images de making-of — des documents très rares et édifiants.

À quelques mètres, on prend le temps d’admirer d’autres scènes monumentales (une cabine de téléphérique et une falaise) qui ont fait l’objet de travaux de restauration. Et de les reconnaître pour ce qu’elles sont : des œuvres à part entière. Ceux qui les confectionnent n’ont rien de robots d’exécutants : il n’est pas rare qu’ils placent en guise de signature un petit détail, une surprise pour l’observateur attentif, à la manière des easter eggs traditionnellement dissimulés dans les films d’animation ou les jeux vidéo.

«Les maquettes en sont remplies note Dan Ohlmann. Quand Jeff Buckley s’est noyé dans le Mississippi, un admirateur avait placé un tag à son nom pour commémorer son départ. Aujourd’hui, il pourrait y avoir le symbole du Bataclan dans une œuvre.» Tout cela se faisant, évidemment, avec la bénédiction des grands patrons, ravis comme Anderson de voir perdurer cette coutume.

C'est cadeau !

Conservateur sur ce point, Anderson l’est aussi avec certains documents, puisqu’il avait archivé quelques-uns des plus beaux décors de Fantastic Mr. Fox. Des pièces qui ne sont pas faites pour voyager, et ont donc requis une installation des plus attentives, respectant la scénographie complexe du film. La restitution est confondante, et l’impression paradoxale de vie qui se dégageait des marionnettes animées se retrouve intacte lorsqu’elles sont figées, dans leur ambiance.

Laurie Courbier n’est pas pressée de voir repartir cette réunion de famille, au-delà des questions logistiques ; elle se console en se disant que le Musée conservera trois éléments donnés par Wes Anderson. Sans doute le réalisateur souhaite-t-il remercier Dan et Laurie d’avoir si bien honoré son travail. À moins que ce ne soit pour se faire pardonner d’avoir laissé le sous-marin de La Vie aquatique s’abîmer en étant exposé pendant dix ans dans un parc d’attractions. Ou permis que les maquettes de Moonrise Kingdom soient détruites après le tournage. Sûr qu’il sera totalement absout, s’il promet de revenir d’ici quelques années avec des éléments de son nouveau film d’animation en stop-motion. Un projet ultra-secret auquel l’indispensable Simon Weisse est à nouveau associé. Pour doubler la mise aux Oscar…

Les miniatures de Wes Anderson
Au Musée Miniature & Cinéma jusqu'au 31 mars

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 3 juillet 2018 Pour qui se souvient du marin brésilien qui transformait du David Bowie en poésie carioca sur le pont d'un rafiot dans La Vie Aquatique de Wes Anderson, alors la venue de Seu Jorge à Fourvière, dans le cadre d'une tournée hommage au Thin White...
Mardi 3 avril 2018 Wes Anderson renoue avec le stop motion pour une fable extrême-orientale contemporaine de son cru, où il se diversifie en intégrant de nouveaux référentiels, sans renoncer à son originalité stylistique ni à sa singularité visuelle. Ces Chiens...
Mardi 15 mars 2016 Déjà plus de 60 000 visiteurs : l'exposition consacrée aux miniatures du cinéaste Wes Anderson, au musée Miniature & Cinéma de Lyon, est un succès qui se (...)
Mardi 6 octobre 2015 Georges Delerue, Michel Legrand, Maurice Jarre, Gabriel Yared et désormais, Alexandre Desplat. Aussi prolifique que ses prestigieux aînés, le compositeur (...)
Mardi 8 septembre 2015 Deux artistes octogénaires tentent de soulager leurs multiples douleurs dans un hôtel de luxe grouillant de curistes aisés. Après sa réussite "La Grande Bellezza", Paolo Sorrentino s'embourbe en voulant à tout prix amener son film vers une séquence...
Mardi 25 février 2014 Avec "The Grand Budapest Hotel", Wes Anderson transporte son cinéma dans l’Europe des années 30, pour un hommage à Stefan Zweig déguisé en comédie euphorique. Un chef-d’œuvre génialement orchestré, aussi allègre qu’empreint d’une sourde...
Mardi 25 février 2014 Dans la reproduction de la chambre d’Antoine Lumière — qui pourrait être le décor d’un de ses films —, rencontre avec Wes Anderson à propos de Stefan Zweig, de sa famille d’acteurs, de transmission et des tatouages d’Harvey Keitel… Propos...
Mardi 18 février 2014 Après le palmarès rendu samedi par un jury emmené par James Schamus, bilan d’une Berlinale à la compétition très inégale, avec quelques révélations, dont l’Ours d’or "Black coal, thin ice". Christophe Chabert
Jeudi 2 janvier 2014 Après une année 2013 orgiaque, 2014 s’annonce à son tour riche en grands auteurs, du maître Miyazaki à une nouvelle aventure excitante de Wes Anderson en passant par les vampires hipsters croqués par Jarmusch et les flics tarés de Quentin...
Mercredi 16 mai 2012 Poussant son art si singulier de la mise en scène jusqu'à des sommets de raffinement stylistique, Wes Anderson ose aussi envoyer encore plus loin son ambition d'auteur, en peignant à hauteur d'enfant le sentiment tellurique de l'élan...
Mercredi 12 mars 2008 Après «La Vie aquatique», Wes Anderson raffine encore son art de la comédie pince-sans-rire avec un film maîtrisé, libre et touchant sous influence manifeste de la Nouvelle Vague. Christophe Chabert

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X