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Milo Manara : « La liberté était l'étoile Polaire d'Hugo Pratt »

Hugo Pratt

Musée des Confluences

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Bande Dessinée / Disciple, compagnon de route et de travail, mais surtout ami d’Hugo Pratt, l’immense Milo Manara évoque celui dont il fit sous les initiales HP un héros de bande dessinée.

Dans quelles circonstances votre rencontre avec Hugo Pratt s’est-elle effectuée ?
Milo Manara :
À l’époque, je ne lisais pas de bandes dessinées, car il n’y en avait pas pour les adultes. Et puis j’ai découvert La Ballade de la Mer salée en 1967 dans Sgt. Kirk, la revue que publiait Florenzo Ivaldi. Deux ans plus tard, alors que je venais de débuter professionnellement la bande dessinée — je faisais de petits fumetti érotiques de qualité… très mauvaise (rires) —, j’ai appris dans la presse qu’il y avait un festival à Lucques. C’était un peu l’équivalent d’Angoulême, mais en plus petit, avec deux ou trois tables. J’y suis allé et je me suis présenté à Hugo Pratt. Comme je venais de la même région que lui, il s’est trouvé tout à fait à l’aise, car il pouvait me parler avec son argot vénitien. Et moi, je l’adorais : je l’ai toujours appelé Maestro, jamais Hugo.

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On a commencé à voyager dans toute l’Europe. Il habitait soit à Venise, soit à Milan soit à Saint-Germain-en-Laye. Comme il avait trente mille livres et que j’avais un camping-car, on en transportait à chaque fois d’une maison à l’autre (rires).

Au départ, c’était juste de l’amitié. C’est longtemps après que l’on a commencé à travailler ensemble. Et quand il m’a presque obligé à écrire moi-même mon scénario, je lui ai demandé ce qu’on pouvait prendre comme personnage. Et HP est venu à ce moment-là…

C’était pour HP et Giuseppe Bergman. Grâce à vous, c’était la première fois qu’un auteur de BD devenait le protagoniste d’un album non parodique sous la plume d’un de ses contemporains. Comment Hugo Pratt a-t-il reçu cet hommage ?
Il était très content ! Il a compris dans quel esprit je lui demandais d’être le personnage. On a aussi parlé de certains aspects de l’histoire, avant même que je commence à dessiner. Et puis, il m’a même dessiné son autoportrait (rires). D’ailleurs, ça bougeait beaucoup, car on était dans l’autobus qui nous menait vers le petit village de Malamocco où il habitait, au Lido de Venise. J’ai jalousement gardé cet autoportrait et je ne l’ai montré à personne !

À la fin de l’album Giuseppe Bergman dit à HP : « Tout ce que tu fais, tu le transformes en aventure ». Cette phrase était-elle aussi valable pour Hugo Pratt ?
Oui, tout à fait. Hugo Pratt était un auteur de bandes dessinées qui a vécu comme son personnage. Bien sûr, le monde avait changé depuis l’époque de Corto Maltese, mais Pratt a toujours affronté la vie avec l’esprit d’aventure.

Il se définissait comme “gentilhomme d’aventure”, un vrai aventurier, dans le bon sens du terme. La liberté était son étoile Polaire : il toujours vécu de façon très libre, intellectuellement et physiquement.

Toutes les histoires qu’il racontait étaient des histoires de liberté, qui parlaient de rencontres et de civilisations. Mais c’étaient surtout des histoires d’hommes et d’individus : la démonstration que toutes les sociétés ethniques était formées d’un mélange d’individus bons et mauvais.

Hugo Pratt était vraiment anti-raciste : il a voyagé en Afrique, en Amérique du Sud… Il a vécu plus de 16 ans an Argentine et au Brésil ou il a connu les Indiens. Il trouvait de la fascination et des choses merveilleuses dans chaque coin du monde, dans chaque pays. Les dernières années de sa vie, il habitait en Suisse ; il a écrit Les Helvétiques

Comment avez-vous décidé de travailler ensemble sur Un été indien (1987) et El Gaucho (1995) ?
Je suis honoré d’être le seul dessinateur pour lequel il a écrit des scénarios. C’était très facile de travailler avec lui, car il m’accordait toute sa confiance. On se voyait beaucoup, bien sûr, mais ce n’était pas pour contrôler ce que ce je faisais. Comme il était dessinateur, il était très respectueux de mon travail. Parfois, il me demandait de lui envoyer quelques dessins par fax — il n’y avait que cela à l’époque — mais c’était juste pour s’amuser, pour voir comment j’avais dessiné certaines séquences. D’ailleurs, il y a deux ou trois chapitres entiers de Un Eté indien que j’ai dessinés en Amérique et qu’il n’a même pas eu la possibilité de voir : j’avais été obligé d’aller en Louisiane, à la Nouvelle-Orléans pour le tournage du film Le Déclic.

Pour El Gaucho, Hugo Pratt m’a même fait des croquis en couleurs, parce qu’il y avait des choses que je ne connaissais pas, comme l’habillement des soldats de marine ou de l’infanterie qui étaient très précis. Mais il me donnait le maximum de liberté. C’était tout à fait le contraire de Fellini, qui me dessinait un storyboard ou qui me faisait faire des corrections… C’était l’école, de travailler avec Fellini, tandis qu’avec Hugo Pratt, c’était du plaisir…

Les seuls moments où je l’ai vu vraiment fâché, c’est quand quelqu’un tentait de limiter sa liberté, comme son éditeur qui lui demandait de signer des contrats (rires). Avec moi, il ne s’est jamais fâché : je savais toujours quand il était temps de le laisser et de partir.

Aviez-vous d’autres projets ensemble ?
Oui, car El Gaucho n’était pas terminé. Ce n’était que la première histoire : le protagoniste Tom Brown ne devient un gaucho que dans le dernier chapitre. Le deuxième tome aurait dû être consacré à la recherche d’une ville mythique en Terre de Feu, vers le Détroit de Magellan, au Sud de l’Argentine — il y a eu beaucoup d’expéditions parties à la recherche de cette mythique ville. On avait encore un autre projet : l’histoire d’un prisonnier celtique à l’époque de la Rome antique qui devient un gladiateur — cela a beaucoup à voir avec le film de Ridley Scott. C’était une très grande histoire, car Hugo Pratt était passionné par l’histoire des Celtiques. Je crois qu’il aurait fait un chef-d’œuvre. Et moi aussi, je crois… On en parlait beaucoup. Je le regrette, mais il est parti avant. Cet album restera malheureusement un rêve. Avant tout pour moi.

HP et Giuseppe Bergman, de Milo Manara, réédité sous le titre Giuseppe Bergman, tome 1 : Aventures vénitiennes, de Milo Manara (Glénat)

Un été indien, Hugo Pratt & Milo Manara (Casterman) El Gaucho, Hugo Pratt & Milo Manara (Casterman)

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