Les écrans à cran

Table ronde / L’exploitation cinématographique lyonnaise traverse une grande phase de mutation depuis deux ans, avec des rebondissements quasi-mensuels. cette rentrée était l’occasion idéale pour faire le point avec trois exploitants sur les enjeux et défis posés au secteur. animée et retranscrite par Christophe Chabert

Les intervenants :
Sandrine Dias, directrice du Zola à Villeurbanne
Joël Luraine, directeur du Pathé Vaise (groupe europalaces)
Marc Van Maele, directeur des Alizés à Bron

Petit Bulletin : Cette table ronde se passe quelques jours après la fermeture du CNP Odéon... Cela pose la question de l’avenir des cinémas indépendants, mais aussi des cinémas dans la Presqu’île.
Joël Luraine : Pour moi, cette fermeture est d’abord un regret. Et cela met en lumière la difficulté d’exploiter des salles quand on est 100% indépendant, qui plus est dans un créneau art et essai. À part des réseaux comme Utopia qui ont réussi à se structurer, c’est très difficile de continuer à exister.
Marc Van Maele : On sera tous les trois d’accord pour exprimer une vraie solidarité avec les salariés subissant les conséquences d’une mesure qui, sur la forme, est assez dégueulasse : vider un lieu sans en avertir les intéressés. Sur le fond, c’est plus difficile de s’exprimer sans connaître tous les tenants et les aboutissants du dossier. Du point de vue des spectateurs, les CNP sont aujourd’hui les seuls à proposer une catégorie de films dont on a besoin en tant que cinéphile. Cela pose aussi la question du soutien des pouvoirs publics à ce cinéma. On ne peut que regretter cette situation et se demander : maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
Sandrine Dias : Cela m’interroge vraiment sur le devenir des salles indépendantes, ça nous renvoie à nos boutiques en matière de programmation, d’offre envers le public, de diversité. Le CNP Odéon programmait de l’art et essai porteur, mais sa disparition fragilise encore les oeuvres plus difficiles programmées dans les autres CNP... En tant que salles indépendantes, rencontrez-vous des problèmes du même ordre : diminuer les créneaux pour les films difficiles et en laisser pour des titres plus porteurs ?
MVM : Bien évidemment. Aux Alizés, on se positionne comme cinéma de proximité, d’art et essai et généraliste. Il y a le modèle économique et le modèle culturel, il faut harmoniser tout ça. Ces films art et essai porteurs, nous en avons besoin. Mais la difficulté aujourd’hui, c’est l’accès aux films, et surtout les exigences des distributeurs. Quand on impose trois ou quatre séances par jour, la question de la diversité culturelle se pose.
SD : Au Zola, on a le même problème, d’autant plus qu’on est mono-écran. Travailler sur le créneau de la proximité et concilier art et essai porteur, art et essai pointu et cinéma plus généraliste, sans compter le jeune public, est vraiment compliqué. Nous sommes moins concernés par les exigences des distributeurs car notre problème est d’abord celui de l’accès aux copies. On a une sortie nationale de temps en temps, et quand on a une deuxième semaine, on est ravis ! Sinon, c’est troisième, quatrième, ou encore plus. Nos spectateurs fidèles nous suivent, mais quand on a l’objectif de conquérir un nouveau public, de le rajeunir et de le renouveler, cela ne joue pas forcément pour nous. Il faut presque mendier pour avoir les copies... Avant l’été, les salles indépendantes disaient souffrir d’un manque de locomotives commerciales qui assuraient le train de la fréquentation. Dans le même temps, à Lyon, le Pathé Bellecour se mettait à la VO. C’est plutôt paradoxal, non ?
JL : Ce n’est pas un paradoxe : c’est nécessaire pour tout le monde d’exploiter un maximum de films. On s’est étendu vers la VO, c’est nécessaire pour nous, comme il est nécessaire pour des salles comme Les Alizés, qui avant exploitaient les films en troisième ou quatrième semaine, d’avoir des films en sortie nationale. En période de vacances scolaires, ils ont exactement la même programmation que nous... La majorité de la fréquentation se fait sur les mêmes films. En revanche, il ne faudrait pas que les CNP qui restent disparaissent car ils sont les seuls à programmer certains films dont on a besoin. Il faudrait trouver la structure, le lieu, l’exploitant pour faire ce travail-là, car ni nous, ni les salles de périphérie ne le feront. Le risque est là...
MVM : Chacun garde ses spécificités, notamment tout ce qui est de l’ordre de l’action culturelle, du travail avec les publics, des scolaires.
JL : On fait à peu près le même métier... (Devant la moue dubitative de Marc Van Maele) Oh, on fait 80% de nos entrées sur les mêmes films !
MVM : Ce n’est pas qu’une question de proposition de films. C’est aussi comment on est dans la salle, comment on a envie de vivre le film. Je n’ai aucun mépris pour le cinéma commercial et son exploitation, mais il ne faut pas se le cacher, certaines grandes enseignes sont purement des centres de profit. Quand on travaille dans un cinéma art et essai, la question de l’amour du cinéma, de sa transmission via des actions culturelles ou des débats, même si elle est en pourcentage faible, est vraiment importante.
JL : Je suis d’accord. Nous ne pourrions pas faire le travail que fait le Comoedia, et eux sont 100% indépendants, ce qui prouve que c’est possible. C’est possible aussi parce qu’ils sortent le Tarantino...
SD : Dans une salle généraliste, le Tarantino va nous permettre de passer le Shane Meadows, par exemple. Effectivement, on a le même outil de travail, tout dépend de la manière de s’en servir. Le Zola cherche à créer un contact plus proche avec le spectateur, essaie d’accompagner les films. On a envie de réfléchir sur l’éducation à l’image, comment on aiguise le regard d’un spectateur. Forcément, on ne peut pas travailler de la même façon.
JL : Mais on peut cohabiter quand même. L’histoire montre qu’il n’y a pas eu de dégâts causés à l’exploitation indépendante de périphérie avec l’arrivée des multiplexes, y compris aujourd’hui avec Carré de Soie à Vaulx-en-Velin. On crée de nouveaux spectateurs dans des zones où il y a une vraie disponibilité. Cela ne peut que renforcer l’amour du cinéma et pousser les spectateurs à aller dans des cinémas où le travail est plus approfondi.
MVM : Sur le côté place pour tout le monde, on peut revenir sur des questions plus discutables comme les procès pour concurrence déloyale, ou abus de position dominante...
JL : Là encore, il y a quinze ans, vous n’aviez pas du tout de films en exclusivité. Aujourd’hui, c’est naturel que la quasi-totalité des salles de périphérie ait un ou deux films en sortie nationale. Cela devient peut-être difficile pour des salles plus petites, mais on est allé de troisième semaine à sortie nationale. Et nous ne sommes pas morts non plus, mais ça nous a pris du public. Aujourd’hui, ça fonctionne bien. Pendant longtemps, la longévité des films à l’affiche faisait débat entre les salles indépendantes et les grands réseaux. Cette année, on constate que certains films ont connu une carrière très longue, comme Slumdog Millionaire. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
MVM : On ne peut que s’en féliciter quand cela repose sur le bouche-àoreille et que cela évite à des bons films de passer trop vite à la trappe. Après, il y a les exigences des distributeurs : trois séances par jour et trois semaines à l’affiche. La contrainte peut être agréable quand il s’agit d’Un prophète ; compte tenu de la qualité exceptionnelle du film. Il y en a d’autres que je ne citerai pas pour lesquels trois semaines, c’est excessif.
JL : Je ressens aussi cet accroissement de la longévité des films. Deux exemples : The Reader et Very bad trip, deux films très différents, mais que l’on arrive à garder longtemps dans des multiplexes. Je crois que le public ne peut pas répondre à tout, tout de suite. Cela fait partie de notre travail de garder ces films sur la durée. Pour certains films, la mode n’est pas indispensable.
SD : À mon niveau, je le vis différemment. La particularité d’imprimer un programme sur quatre semaines, c’est parier sur des films avant même leur sortie nationale, et assumer ces choix qu’ils marchent ou qu’ils ne marchent pas. Un des enjeux importants de l’exploitation est la question du numérique et celle, en pleine explosion, de la 3D. Le Pathé Vaise a été pionnier avec CGR sur Lyon en la matière...
JL : Au sein du groupe Europalaces, Vaise est le site d’expérimentation du numérique. Nous sommes les seuls à posséder un multiplexe de huit salles numériques. Mon bilan sur le numérique, c’est son extrême fiabilité d’image et de son. Le plus, c’est aussi la première partie : les bandes-annonces ou la publicité en numérique, avec une excellente qualité sonore. Cela permet aussi de faire plus de choses dans les salles : de la retransmission satellite, de la diffusion d’événements, mais aussi des conventions pour les entreprises. Et cela ouvre l’opportunité de la 3D, avec le seul surcoût des lunettes. Le spectateur est intéressé par cette technologie. On a souvent fait les deux versions, 2D et 3D ; au départ, c’était 40% 3D ; sur Là-haut, on était à 60-65% en 3D.
MVM : Il n’y a plus de débat sur le numérique, c’est juste une question de modèle économique. Pour des cinémas associatifs, indépendants, municipaux, il faut trouver un financement. On y va, il y aura sûrement un fond de mutualisation pour ne pas laisser certains cinémas au bord de la route ; 70 000 euros pour un équipement, ce n’est pas rien. Quant à la ligne éditoriale, c’est une vraie question : que faire de cet outil ? Estce qu’on a envie de passer de l’opéra au cinéma ? Quant au relief, c’est un très beau spectacle, cela fait envie. Mais est-ce un effet de mode ou est ce que ça va perdurer ?
JL : La question va se poser de manière cruciale avec Avatar (le nouveau film de James Cameron, NdlR). Là, il est clair qu’il faudra avoir pris une décision le 16 décembre.
SD : Le numérique est une grande interrogation pour moi. Je me sens à la ramasse : je vois le train qui passe, il faut que je monte pour ne pas louper le coche... Il y a sûrement un intérêt pratique pour les projectionnistes, mais il y a aussi un coût, pour les équipements et pour le réaménagement de la cabine, qui n’est pas forcément adaptée. J’essaie ensuite de me projeter un peu plus loin, quand tout le monde sera équipé : comment va se gérer l’accès aux copies, toujours... Je ne sais pas si on va tous se retrouver avec les films en première semaine ; ça peut faciliter sur certains films, mais pour d’autres, on devra encore patienter. Concernant les tarifs, l’enjeu pour tous les cinémas, quels qu’ils soient, est de fidéliser les spectateurs. Est-ce qu’il n’y a pas un risque d’absence de mobilité des spectateurs d’un cinéma à l’autre ?
JL : Nous, nous le souhaitons un petit peu. Mais les cartes illimitées touchent les passionnés. Chez nous, cela ne dépasse pas 10% des spectateurs, ce n’est pas négligeable, mais pas énorme non plus. Quant aux autres systèmes de fidélité, les chèques cinéma, les cartes 5 ou 7 places, ils permettent de passer d’un cinéma à l’autre. Le phénomène géographique est très présent, de toute façon : les spectateurs de Vaise ne vont pas à Carré de Soie, ceux de Carré de Soie vont peu à Bellecour... Le prix moyen de la place augmente peu, il baisse même parfois.
MVM : Nos formules de cartes ne sont pas nominatives. On fonctionne sur quatre cinémas de l’est lyonnais, l’enfermement est très relatif.
SD : La fidélisation dans nos salles se fait surtout sur un lieu et une programmation. Il y a un contact différent... Et les cinéphiles circulent entre les différentes salles.
JL : Notre objectif est d’augmenter la fréquentation par un accroissement du nombre de fois où un spectateur va au cinéma dans l’année. Ces systèmes permettent d’y aller six fois au lieu de trois ou quatre par an.

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