Gardarem lo Larzac

Dans "Tous au Larzac", Christian Rouaud revient sur une lutte politique fondatrice de notre histoire contemporaine : celle menée entre 1970 et 1981 par les paysans du Larzac contre la tentative de spoliation de leurs terres par l’armée. Christophe Chabert

Ça commence par ce que Christian Rouaud appelle «un coup de massue sur la tête». Michel Debré, ministre de la défense, fait en octobre 1970 une annonce fracassante : un projet d’extension du camp militaire situé sur le plateau du Larzac. Ce qui équivaut à exproprier certains paysans qui y vivent et y travaillent. L’absence de concertation, typique des mœurs politiques concernant l’armée, est aussi un manque de discernement. Car si à cette époque le Larzac est essentiellement constitué de fermes isolées où, comme dans toutes les campagnes, les paysans se jalousent entre eux, quelques figures atypiques s’y sont installés : c’est le cas de Pierre et Christiane Burguière, de Michel Courtin, mais surtout de Guy Tarlier et de son épouse Marizette, qui rejoignent le Larzac en 1965. Ce sont eux qui ont l’idée, face à l’impossibilité de négocier avec l’État, de lancer un appel national pour sensibiliser l’opinion à la défense du Larzac. «La conjoncture est favorable car on est dans l’après-68» explique Christian Rouaud. «Et arrivent là tous les militants de l’époque quelle que soit leur obédience. Les paysans sont extrêmement émus de voir tous ces gens qui viennent soutenir leur combat, mais chacun voulait récupérer le Larzac pour sa chapelle.» Anars, maoïstes, membres de la gauche chrétienne, non-violents : c’est un précipité des idées de mai qui fond sur le Larzac. Il paraît à nos yeux aussi folklorique aujourd’hui qu’il ne l’était pour les paysans à l’époque ; mais de cette dynamique idéologique bouillonnante naît un sens de l’action où les idées fusent et la résistance, patiemment, s’organise.

Le Larzac prend le maquis

Certaines idées sont connues, et Christian Rouaud les raconte longuement dans son film. La création du journal Gardarem lo Larzac, les rassemblements populaires sur le plateau — en 1973, dans une ambiance très Woodstock, en 1974, avec l’incident évité de peu lors de la venue d’un certain François Mitterrand et en 1977, après l’échec de la gauche aux élections législatives et l’espoir déçu d’un règlement du conflit — les occupations de ferme… D’autres sont restées sur le banc de montage. «Par exemple, l’histoire des 3% de l’impôt. Ça consistait à dire que sur les 20% d’impôts qui vont au budget de l’armée, 3% sont destinés à la fabrication des armes. On écrivait au percepteur en disant : «Je suis un bon citoyen, je paie mes impôts mais je suis contre l’extension du parc militaire du Larzac, donc ces 3%, je les verse directement aux paysans.» C’était un acte de désobéissance civique, et ça foutait un bordel incroyable dans l’administration car les gens ne refusaient pas de payer leurs impôts. Il fallait que le percepteur calcule les 10% sur les 3%, puis qu’il calcule l’amende, et ça se terminait par des procès où défilaient tous les ténors non-violents de l’époque qui expliquaient à quel point c’était une connerie d’agrandir le camp militaire.» Ce bras de fer avec le pouvoir passe à deux doigts de la catastrophe quand, en mars 1975, une explosion criminelle dévaste la ferme de La Blaquière, ne faisant miraculeusement aucune victime parmi ses onze occupants. Événement symbolique qui se soldera par un non-lieu, mais qui va souder le mouvement au lieu de le désunir. «C’est la création d’une communauté. Au début, ils n’ont rien à voir ensemble ; à la fin, ils forment un corps indestructible.»

Ce n’est qu’un début…

Après dix ans de lutte, le 10 mai 1981, Mitterrand est élu Président de la République et, conformément à son programme, stoppe le projet d’extension. «En 1981, la question était : que va-t-on faire de ces terres que l’armée et le GFA [Groupement Foncier Agricole, créé par le mouvement, NdlR] avait achetées. La gauche a accepté qu’elles appartiennent à l’état mais soient gérées par des paysans. La Société civile des terres du Larzac se réunit, fait un appel d’offres, les gens se proposent et on décide qui va s’installer pour faire quoi.» Cette solution a un problème conjoncturel aura des conséquences des années plus tard. Car certains membres du mouvement, arrivés en cours de combat, ont décidé d’y rester, notamment José Bové. «Bové, pendant la lutte, c’est un gamin, un petit soldat, un militant de base qui ne participe pas aux discussions. Il n’a que 19 ans quand il arrive, et le Larzac va être son apprentissage. C’est à la mort de Guy Tarlier qu’il va devenir leader du plateau. Lorsque l’Europe refuse le bœuf aux hormones américain et que les Etats-Unis, par mesure de rétention, stoppe les importations de roquefort, ils ne savent pas à qui ils s’attaquent. C’est le début de la lutte contre l’Organisation Mondiale du Commerce, de l’altermondialisme. Ça part du Larzac.» Comme l’écrit à la fin de son film Christian Rouaud : «Le Larzac vit». Et on ajoutera : «Pour longtemps».

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