Eddie Gilles-di Pierno : «Tout fait patrimoine»

Voici notre dernier dossier consacré au patrimoine rhônalpin avant que la région ne s’agrandisse à l’Auvergne. L'occasion, en préambule d'une sélection de sites incontournables et d'un aperçu de ce qui vous attend chez nos voisins, de faire le point avec Eddie Gilles-di Pierno, président de l’association Patrimoine rhônalpin. Propos recueillis par Nadja Pobel

Comment un bâtiment devient-il, à un moment donné, objet de patrimoine ?
Eddie Gilles-di Pierno : Aujourd’hui, la notion de patrimoine a fortement évolué. D’ailleurs, pour la majeure partie des gens, le patrimoine est financier ou immobilier : c’est ce qu’on possède. Idem sur Google. Autrefois, le patrimoine était le grand patrimoine bâti, les églises, les châteaux… C’était public ou religieux. Depuis l’après-guerre, il s’est élargi au patrimoine rural, industriel, aux savoirs, traditions, au patrimoine oral, aux langues régionales, etc.

Aujourd’hui, tout fait patrimoine. Pour notre association, le patrimoine commence à partir du moment où un groupe de personnes a le sentiment qu’un objet fait partie de son histoire. C’est qu’il a de la valeur.

Cette notion a-t-elle été impulsée par l’État ?
Non. D’ailleurs, l’État a longtemps dédaigné notre région en termes de protection. Nous avions très peu de bâtiments inscrits ou classés au patrimoine historique. Les textes du Ministère de la culture, jusqu’aux années 80, disaient qu’en Rhône-Alpes rien ne méritait d’intérêt aux yeux des Parisiens. Aujourd’hui encore, 60% des financements de l’État consacrés à la restauration des monuments le sont à Paris. Tout le reste est dispersé sur la France entière ! C’est encore très centralisé.

À partir des années 80, on a décentralisé le travail d’inscription grâce à la création des DRAC. Dès lors, l’augmentation des classements dans notre région a été très nette. Avant, elle stagnait, nonobstant un pic dans les années 30 qui correspond au classement de presque toutes les maisons de Pérouges à l'initiative d'Édouard Herriot.

Deux départements sont encore très peu protégés : la Savoie et la Haute-Savoie. Ce sont les maires des communes qui s’y opposent pour pouvoir garder la mainmise sur le foncier de leur territoire ; le prix du mètre-carré est tellement élevé qu'ils n’ont pas envie d’être ennuyés par un monument historique et le périmètre de sécurité de 500 m qu'il impose.

On a d’abord protégé l’antique, les vestiges gallo-romains, dès les années 1900. Puis ce fut le patrimoine des centres villes anciens, notamment à Lyon, où Régis Neyret a impulsé la loi Malraux sur la protection du patrimoine. Mais ces prises de conscience ont été longues : le patrimoine était vécu comme un handicap.

Aujourd’hui, on se demande comment il a pu être envisagé de détruire le Vieux-Lyon. Mais il faut bien se remettre dans l’époque. Dans ces années 1950/60, ce quartier était insalubre, il n’y avait pas le tout-à-l’égout, c’était sombre, recouvert de suie. Personne ne voulait habiter là-bas. Mais il fallait avoir la capacité de voir sous la crasse la beauté des pierres.

Le patrimoine rhônalpin a-t-il une spécificité par rapport aux autres régions ?
Le patrimoine le plus emblématique de notre région est naturel – nous hébergeons tout de même le Mont Blanc, le diamant de l’Europe. La région est si grande que nous n'avons pas de patrimoine identitaire comme en Bretagne ou en Alsace, ni de grands châteaux – nous n’avons jamais été un siège royal ou féodal – ou de grandes cathédrales.

Notre patrimoine d’union est celui de l’industrie de la soie et du textile. Cela a modifié nos façons de nous déplacer, de communiquer. On peut le découvrir par les maisons des canuts, le Musée du chapeau de Chazelles-sur-Lyon et tout ce qui a découlé du textile comme la chimie, pour la soie artificielle, et l’industrie mécanique, avec les métiers à tisser qui ont ensuite permis la production automobile comme on le voit au Musée Berliet, ou hydro-électrique, avec par exemple le barrage de Cusset à Villeurbanne.

Il y a aussi le Musée de Bourgoin-Jallieu qui rappelle l’histoire du textile, le Musée de la chaussure à Romans, le Musée des tissus de Lyon, le Musée des entreprises Bonnet à Jujurieux... Émile Guimet, à qui l’on doit l’ancêtre du Musée des Confluences, est aussi lié à ce secteur par son invention du bleu outremer. Le textile est un vecteur de liens sur tout ce territoire.

Aujourd’hui, on se demande comment il a pu être envisagé de détruire le Vieux-Lyon. Mais il faut bien se remettre dans l’époque. Dans ces années 1950/60, ce quartier était insalubre, il n’y avait pas le tout-à-l’égout, c’était sombre, recouvert de suie. Personne ne voulait habiter là-bas. Mais il fallait avoir la capacité de voir sous la crasse la beauté des pierres.

Comment va s'intégrer l’Auvergne ?
On commence à intégrer ce territoire, mais sans donner le sentiment de débarquer comme un rouleau-compresseur en apportant la science infuse. C’est une terre historique, moins administrative que Rhône-Alpes, qui a aussi de très beaux paysages. Mais c’est plus rural, moins industriel, à l’exception de Michelin à Clermont-Ferrand, avec un réseau de châteaux importants.

Le fil conducteur entre nos régions sera le patrimoine thermal. On en trouve dans nos dix départements, avec de très beaux bâtiments à Vichy, Évian, en Savoie… L’Auvergne est une préoccupation au quotidien et beaucoup d’entreprises ont déjà fait cette fusion : France 3, EDF, Groupama… Il n’y a d’ailleurs pas eu de débat sur ce regroupement si ce n’est une interrogation pour savoir si l’Allier se raccrocherait à la Bourgogne. Ces régions sont complémentaires. C’est un territoire cohérent.

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