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« Le jour où l'on a le droit, il y aura direct un concert programmé »

Le Sonic / Cette péniche est l'emblème des nuits rock et underground de Lyon, le lieu d’accueil des artistes exigeants d'une certaine scène indie lors de leurs tournées dans l'hexagone : le Sonic incarne l’indépendance et toutes les difficultés inhérentes quand on choisit cette voie, aujourd’hui démultipliées par les crises sanitaire et économique contre lesquelles les deux patrons, Stéphane Bony et Thierry Vignard, luttent pour faire survivre une autre vision de la culture. État des lieux.

Vous avez réouvert le 2 juin : comment faire en l’absence de concerts ?
Thierry :
On ouvre sur une autre activité, sur d’autres horaires : c’est compliqué. En mode bar, le soir, mais sur un emplacement pas du tout adapté pour ça. On rame, dans notre coin.

Stéphane : On a changé 100% de notre modèle économique. Avant, c’était 75% club et 25% concert pour les rentrées d’argent. Là, on est sur… autre chose. Du bar. Terrasse et intérieur en mode dinner. Sans offre de bouffe, pour le moment, mais on travaille pour changer ça : on va le faire nous même, avec les moyens du bord. C’est pas folichon : on a du monde un peu le week-end.

Thierry : On est un peu victime de notre modèle économique, basé sur l’indépendance. Déjà avant c’était chaud, et ça fait longtemps que l’on demande à changer l’emplacement de la péniche, parce qu’ici commercialement parlant, c’est terrifiant. On survit bon gré mal gré du fait de notre activité particulière. Mais le moindre grain de sable… Et là c’est un gros caillou dans la machine, pas un grain de sable : c’est très compliqué.

Quel impact, cette crise de la Covid-19, sur le Sonic ?
Stéphane :
On a tout annulé. 36 concerts sur deux mois. Sur juin, on avait arrêté de prendre des programmations de toute façon. Pendant un moment, on avait essayé de reprogrammer des concerts sur juin mais c’était complètement illusoire. Certains tourneurs le voulaient absolument, je voyais bien que ça allait être impossible… J’ai passé mon temps à re-re-reprogrammer ce que l’on avait prévu à l’automne pour avril, mai et juin 2021. Comme tout le monde. On ne sait pas : peut-être que l’on fera quelques concerts à la rentrée, mais les frontières sont fermées et comme on a une programmation internationale avec un groupe lyonnais en première partie…

Où en sont ces tournées internationales ?
Stéphane :
L’Amérique du Nord déjà, c’est fermé. Une partie de l’Europe aussi. On a beaucoup de groupes américains, canadiens et anglais chez nous… C’est fermé. Chaque cas sera différent mais est-ce que les gars vont monter des tournées sachant que certaines frontières peuvent être encore fermées, je n’en suis pas certain.

Quelle est la situation de ces tourneurs et artistes américains ?
Stéphane :
Ils sont dans une misère noire. Eux, ils n’ont pas de système d’intermittence du spectacle. Je vois Lydia Lunch qui essaye de vendre ses archives… Ils sont dans une misère noire, ouais, les musiciens américains indépendants.

Thierry : Ils sont plus sur un modèle équivalent au nôtre, au Sonic, donc… On parle tout le temps d’un système plus sécurisé à la française, ça marche avec le fait d’avoir beaucoup de lieux subventionnés, qui amortissent la crise. Par contre, ceux qui sont vraiment indépendants, ça va être très compliqué. Et pour les artistes américains, c’est pareil.

À combien vous évaluez les pertes à ce jour ?
Stéphane
: Perte de chiffre d’affaire, 90 000€. C’est du chiffre d’affaire, mais avec les charges annulées, ou reportées, c’est un peu compliqué à chiffrer exactement.

Thierry : On évaluera réellement les dégâts dans six mois, peut-être plus. Car là on est obligé de s’endetter, de prendre un crédit. On était déjà limite, on ne sait pas si on arrivera à passer le cap. On fera le bilan comptable dans un an, de l’année Covid.

Au niveau aides ?
Stéphane :
Celles de n’importe quelle entreprise, les 1500€, le chômage partiel pour toute l’équipe sauf nous les deux gérants, les 1000€ de la Métropole. Mais aucune aide spécifique liée à la culture. À part notre subvention annuelle de la Ville de Lyon, qui a été maintenue — il n’y avait pas d’activité, ils auraient pu la suspendre. C’est déjà bien. Mais il y a encore des choses aberrantes dans ce pays : on avait droit normalement à l’aide de la Région de 5000€ pour investissement ou rénovation dans l’année, car on avait fait sortir le bateau de l’eau, mais… on n'a pas le bon code NAF donc on n’y a pas eu droit. Pour tous les cafés-concerts, c’est pareil : le Disorder à Saint-Étienne qui venait de se monter, est en train de couler apparemment. On a un code NAF de bar, et la Région n’a pas intégré les bars et lieux de nuits dans cette aide, même ceux qui avaient une activité culturelle, considérant que ce n’est pas leur activité principale.

Thierry : C’est le problème du système français, dès qu’on n'est pas dans les cases subventions, CNV, etc, on ne fait pas de culture. On a le même problème avec la SACEM qui nous ponctionne à mort sans jamais de retour, car on est considéré comme ayant une activité commerciale et non culturelle. Parce que notre structure économique est basée sur notre indépendance. On pensait avoir un modèle d’avenir, il faudra encore attendre un peu que le modèle 100% subvention se casse la gueule… Je pense que notre modèle est plus sain, pourtant.

« Si ça ne repart pas en septembre, le Sonic c’est fini »

Quel dialogue avec les collectivités ?
Stéphane :
On a eu des échanges avec la Ville de Lyon au tout début, et puis à nouveau ces derniers jours. On discute d’une aide possible aux lieux comme nous qui ne rentrent pas dans les cases et qui ont besoin de ça pour tenir. Ce sont juste des discussions pour l’instant.

Le Sonic est-il en danger ?
Thierry :
On ne sait pas. On a encore une autre échéance : il faudra refaire le fond de la coque dans cinq ans, on l’a appris en janvier dernier. On se demandait déjà si ça allait représenter la fin du Sonic car il va falloir sortir beaucoup d’argent. Là, la crise accentue encore notre situation… Si ça ne repart pas en septembre, le Sonic c’est fini. Et il faudrait que ça reparte plus fort qu’avant ! Sachant qu’on était bien au taquet sur la fréquentation, on est complet sur chaque soirée, les concerts fonctionnent aussi. Il reste ce problème d’amplitude horaire, on ne travaille que de 1h à 4h sur les soirées, et sur les concerts de 21h à minuit. Du fait de cet emplacement qui n’est économiquement pas viable, on réussit à faire venir les gens uniquement sur de l’événementiel, il nous manque le côté bar de quartier qui pourrait équilibrer les comptes, ça fait des années que l’on essaye d’avancer là-dessus mais ça ne vient pas. Il faudrait tout ça pour passer le cap.

Comment avez-vous vécu les différentes annonces du ministère de la Culture ?
Stéphane
: J’ai l’impression qu’il y avait un ministre de la Culture qui disait ce qui lui passait par la tête. Ça avait un peu l’air d’être en décalage avec la réalité sur le terrain. Je n’écoutais même plus ce qu’il disait, voilà. Faire un concert avec un musicien sur scène et cinquante personnes, en plein Covid, où il y avait je ne sais combien de morts par jour ? Il raconte quoi lui ? Il vit pas dans le même pays que nous ou quoi ? Et là, c’est le flou. Macron n’a pas parlé de culture dimanche soir, on ne sait pas comment il déconfine. On n’a pas d’infos.

La rentrée en septembre ?
Stéphane :
Je ne sais pas quand est la rentrée. Tous les concerts de septembre et d’octobre sont reportés.

Thierry : Par contre, dès qu’on a le droit de faire des concerts, on compte sur le soutien de la scène lyonnaise pour venir jouer abondamment. On fera appel à eux. Que les gens puissent se faire plaisir à venir voir des concerts tout de suite, que ces groupes puissent jouer puisqu’ils ne pourront plus faire les premières parties qu’habituellement on leur propose. Et que ça génère de l’activité pour nous.

Stéphane : Honnêtement, sur 2020, quasi toutes les tournées sont repoussées. Il reste quelques groupes où j’ai une option pour l’automne et une autre pour avril 2021… Ça fait un mois que je ne reçois même plus de mails de tourneurs ! J’ai peur qu’il y ait un gros embouteillage en avril et mai l’an prochain, par contre. Mais le jour où on aura le droit de faire un concert pour de bon, il y aura direct un concert programmé !

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