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Quand on arrive en livre !

Songs from a room

Portrait / Cyrz, chanteur drômois, auteur, dans sa chambre, d'Un morceau de mon avenir. Sur scène ou sur disque, entre verbe mélancolique et western mélodique, cet ami de la famille Dionysos ausculte sa mémoire en regardant droit devant. Avec la gravité virevoltante des optimistes lucides. Stéphane Duchêne

Sur le deuxième morceau de son album, Le Fer Forgé, inventaire amer des petites saloperies existentielles qui vous mettent le cœur en bouche, Cyrz, de son vrai nom Cyrille Paraire, se résume en quatre vers : «Et moi je suis marqué à vie par le label des cœurs cassés / On me dit bonjour et merci, aujourd'hui j'en ai plus qu'assez / Pour mourir je me cacherai, je suis un oiseau de malheur / Quand viendra l'heure, je vomirai tout le contenu de mon cœur». Autrement dit, un type qui met son palpitant sur la table, au sens propre, cœur fumant sur la toile cirée, mais ne peut s'empêcher d'y dissimuler une référence à un vieux feuilleton à l'eau de rose, où il est question d'oiseaux pudiques et de prêtre amoureux.

On se demande d'ailleurs, en le voyant, comment un garçon en apparence si tranquille, timide, qui cherche ses mots, s'excuse de ne pas être «très bon en interview», peut jouer si tendu, marteler les allitérations têtues, se ronger les cordes comme on se ronge les sangs. «Je suis un mélancolique», dit-il, avant de s'avouer, plus tard, déconneur perpétuel.

«Mes chansons, ce sont des états d'âmes que je libère».

Longtemps, à Montéléger, village «presque natal» qui l'a vu devenir «presque adulte» il ne fait que ça : libérer ses états d'âme comme un trompe l'ennui, «un moyen d'introspection gratuit». Comme des milliers d'ados, il griffonne dans sa chambre, gratouille ses premiers riffs, en fait des chansons (plus de 300 en dix ans) qu'il garde pour lui. Il tient également la batterie dans quelques groupes drômois, dont la version primitive de Dionysos. «Ensuite nos chemins artistiques se sont séparés», blague-t-il.

Surtout, Cyrz n'envisage pas un instant faire de la musique un métier. Sur ce plan, d'ailleurs, il se cherche : bac commercial, une année de socio («pas pour moi»), deux ans d'intérim comme manutentionnaire et cinq de service civil jospinien en tant qu'emploi jeune dans un collège. Au menu : «soutien scolaire et réinsertion de jeunes sortis du cursus scolaire». Presque adulte C'est Mathias de Dionysos, voisin d'en face et ami d'enfance, qui le pousse à envoyer des maquettes aux maisons de disques. Il s'exécute de bonne grâce, pariant sur feu le label Lithium qui abrite alors Dominique A. et Bertrand Betsch, dont il affectionne «l'écriture au couteau». Pas de réponse.

Puis il rencontre Paul Bain, musicien lyonnais officiant aujourd'hui depuis Londres sous le nom de Road Movie, et qui, un soir de 2002, lui propose un concert dans une galerie d'art. Clin d'œil du destin, le même soir Cyrz assiste à une liturgie muratienne au Transbo. Déclic : «quand Murat s'est mis à faire des chansons de 8 minutes, seul avec sa guitare, je me suis dit «c'est donc possible» et j'ai accepté la proposition de Paul».

Effet papillon, ses potes de Dionysos lui proposent alors une première partie à Toulouse, puis l'Olympia : «en trois concerts, je suis passé de 20 spectateurs à près de 1000. C'est le genre de propositions qui ne se refuse pas. En dernière année de contrat au collège, je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire. Je savais aussi qu'à Paris mes maquettes faisaient parler». En bien, puisqu'une semaine après l'Olympia, le label PIAS le contacte : tri délicat dans une production pléthorique, puis sortie d'Un morceau de mon avenir où Cyrz parle essentiellement de... son passé : «C'est un peu un pied de nez. Ces chansons font partie de mon passé, mais avec ce disque, elles ont une responsabilité vis-à-vis de mon avenir». Il y raconte des amours forcément déçues, des amis à trier, une vie coupée en tranches à Montéléger. Et quand on lui demande pourquoi le morceau intitulé Montéléger, justement, est un instrumental au banjo tendance cajun, qui confondrait le Rhône et le Mississippi, il répond en souriant qu'«à Montéléger il y a des champs de blé qui rappellent l'Amérique».

Chansons d'ego

Aspirations US d'inspirations françaises : on disait de Jerry Lee Lewis, pyromane du piano rock n' roll : «sa main droite est blanche et sa main gauche est noire», on peut dire des mains de Cyrz que celle qui tient le stylo est française quand celle qui empoigne le manche de guitare est américaine. Nourri de Neil Young, de Woody Guthrie, de Bob Dylan, on l'imagine féru de westerns, où il aurait puisé ces bourrasques de violons balayant les plaintes de son harmonica. Mais lorsqu'on évoque la série Deadwood, il comprend «Ed Wood» et se réfugie derrière le groupe Calexico plutôt que chez John Ford. Fou de littérature alors, où il puiserait cet art de faire voler les mots ? «Contrairement à Dominique A., je ne suis pas du tout inspiré par les bouquins. Je ne retravaille quasiment pas mes textes. Et puis, si j'ai choisi de chanter en français, c'est aussi parce qu'en anglais j'ai un accent merdique».

Un relativisme qui étonne de la part d'une des plus fines plumes de l'Hexagone musical actuel («Des je t'aime à la louche je peux t'en faire bouffer / Ma langue dans ta bouche est un autodafé», c'est quand même autre chose qu'un gigot/haricots verts chez les beaux-parents de Vincent Delerm). À coups de textes acides, de «chansons d'ego» «qui sourient, qui pleurent», Cyrz noircit d'une voix blanche les souvenirs comme l'oubli, obsessions indélébiles d'un «mélancolique joyeux», «nostalgique chronique ravi de son époque». Le genre de type qui, avant d'aller faire les soldes, est capable de vous lâcher en sirotant un jus d'abricot : «autant être heureux de vivre puisque de toute façon on va tous mourir».

Cyrz Le 26 février au Théâtre de l'Iris, Festival Poly'sons. Un morceau de mon avenir (PIAS)

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