Polémique / Les producteurs qui avaient programmé des concerts au Transbordeur avant la mise en place de nouveaux tarifs menacent d'annuler leurs dates. Le bras de fer qui s'est engagé soulève un problème de fond : les nouvelles conditions d'exploitation de la salle sont-elles réalistes ?
Dorotée Aznar
Les spectateurs qui ont attendu désespérément devant le Transbordeur vendredi 7 octobre pour assister au concert de Tom Mc Rae l'auront constaté : quelque chose ne tourne pas rond au Transbo. L'annulation de ce concert signe le début d'un conflit entre des producteurs, des promoteurs de spectacles (dont Eldorado et Arachnée Concerts) qui programment des artistes au Transbordeur et Victor Bosch, qui s'est vu confier la gestion de la salle de spectacles le 1er juillet dernier, à l'issue d'une procédure de Délégation de service public, un appel d'offre lancé par la Ville de Lyon. L'objet du litige est une augmentation des tarifs de location de la salle, suite à de nouvelles conditions économiques. La Ville de Lyon attribuait en effet précédemment une subvention annuelle de 150 000E à Victor Bosch. Cette somme a été réduite de moitié et le gestionnaire de la salle doit désormais s'acquitter d'une redevance annuelle. Résultat, les tarifs de location du Transbo ont augmenté de 18 % et les promoteurs, qui avaient mis en vente des places de spectacle avant de connaître les résultats de la procédure, ne peuvent assumer la différence de prix, qui peut atteindre 3000E. La tentative de conciliation entre les différents protagonistes qui s'est tenue jeudi dernier a échoué. Transbo trop cher"Nous ne voulons pas payer plus cher pour les concerts programmés avant le nouveau contrat" explique Pierre-Yves Denizot, directeur d'Arachnée qui rappelle que l'économie de la musique est précaire. Victor Bosch se défend : "Je ne peux pas donner aux producteurs ce qu'ils attendent. Il faudrait que je leur signe des contrats anti-datés. Or, c'est totalement illégal". Alors, en attendant que la justice tranche, le public trinque. Au total, 22 concerts risquent d'être annulés dont Sigur Ros, Thomas Fersen et la seconde date de Cali. Tous les acteurs déplorent la situation. Christophe Davy, de Radical Production, qui avait programmé Arcade Fire au Transbo avant de jeter l'éponge à cause de l'augmentation, déclare : "Les nouveaux tarifs ne nous permettent pas de donner des garanties au groupe. Il faudrait répercuter l'augmentation du prix de la salle sur les billets et cela ne nous semble pas normal. C'est dommage, mais il y a d'autres salles en France. Par exemple, les Kills au Transbo, c'est désormais impossible". Selon les producteurs, l'impact de la hausse se répercuterait sur les groupes en construction de carrière et le Transbo ne serait désormais plus capable d'assumer ses fonctions de "rampe de lancement". Pierre-Yves Denizot ironise : "Je crois que Patrice Béghain a confondu le Transbordeur avec la Halle Tony Garnier. Désormais, la Halle coûte proportionnellement moins cher que le Transbo...". À qui la faute ?De son côté Victor Bosch est sceptique quant aux méthodes employées. Il assure que "tout le monde savait que la donne changerait le premier juillet. On ne peut pas mettre des places de concert en vente avant d'avoir signé un contrat". Pierre-Yves Denizot d'Arachnée s'insurge : "Depuis 15 ans, on applique la même procédure, aujourd'hui Bosch joue sur les mots". Mais les choses ont bel et bien changé et le nouveau contrat qui lie Victor Bosch et la Ville vient bouleverser ce petit monde. Finis les arrangements tacites entre amis et les dépassements de jauge. La nouvelle règle du jeu risque de se solder par le retrait des joueurs. "Tout ce que je peux dégager du Transbo, je le dégage", prévient Pierre-Yves Denizot, suivi par Christophe Davy qui ajoute "pour l'instant, je ne mets plus d'option au Transbo". On se rejette allègrement la faute. Victor Bosch dénonce les nouvelles conditions d'exploitation. Selon lui, la Ville a fait une erreur d'appréciation : "Ce lieu tenait la route depuis 17 ans, il ne fallait pas le remettre en cause. La Ville agit comme si on gérait des millions. Ici on gère des clopinettes" lance-t-il. Avant de conclure : "Des gens incompétents ont déstabilisé un système qui fonctionnait bien. La Ville a fait un sale coup à la musique". Au-delà des vingt concerts qui pourraient être annulés, l'offre musicale sera-t-elle durablement affectée ? Sans aucun doute, selon les producteurs et les promoteurs de concerts. Victor Bosch, quant à lui, se veut rassurant : "Les concerts vont aller au Ninkasi pendant un temps mais, tôt ou tard, la situation va se normaliser. Les producteurs n'ont pas le choix, peu de salles en province proposent les prestations du Transbo, c'est un outil magnifique et les groupes le plébiscitent". Une guerre de boutiquiers qui ne fera sans doute qu'une seule victime, le public. Victor Bosch critique les méthodes cavalières des promoteurs de concerts : "On ne peut pas prendre le public en otage. Arachnée connaît les nouveaux tarifs depuis plus de trois mois, ils avaient la possibilité d'annuler Tom Mac Rae bien avant, sans faire venir le public sur les lieux pour rien" déclare-t-il à qui veut l'entendre. Et d'ajouter : "On fait du forain, le public s'en fout". Pourtant, au-delà de cette situation certes déplorable, c'est plus globalement la politique culturelle en faveur des musiques actuelles menée à Lyon qu'il faudrait interroger. Car entre la Halle et le Kao, à Lyon, il y a le néant.
