Les musiques actuelles donnent de la voix

Table ronde / Entre difficulté à se structurer et à se faire entendre des pouvoirs publics et disparition d'acteurs essentiels du secteur, la saison dernière a été difficile pour les musiques actuelles lyonnaises. Table ronde animée par Stéphane Duchêne

Les intervenants :
Olivier Boccon-Gibod, directeur de Caravelle prod., président du collectif musiques actuelles de l'agglomération lyonnaise (C-Mal)
Éric Fillon, programmateur de Mediatone
Fabien Hyvernaud, attaché de production de Kao Konnection
Antoine Levallois, musicien, guitariste de Fake Oddity, chef de projet du label Honey Pie
Petit Bulletin : Après une année particulièrement compliquée pour les musiques actuelles lyonnaises, comment vivez-vous ce début de saison ?
Fabien Hyvernaud : Pour nous à Kao Konnection, c'est évidemment un peu morose. Les licenciements ont un peu entaché la motivation. On espère que cette année se finira mieux que la précédente.
Olivier Boccon-Gibod : On est vraiment dans la continuité de l'an dernier : le contexte est toujours aussi noir et les acteurs toujours aussi fragiles. Mais on a tous la volonté d'avancer.
Éric Fillon : Cela engendre aussi plus de solidarité au sein du C-MAL (Collectif Musiques Actuelles de l'Agglomération Lyonnaise qui regroupe une trentaine d'acteurs des musiques actuelles, tourneurs, programmateurs, labels... NdlR). On essaie de réagir ensemble. Mais aussi de faire réagir les collectivités un peu plus rapidement. Même si ça ne marche pas forcément très bien... Le fait d'êtres regroupés au sein du C-MAL ne vous donne pas plus de poids vis-à-vis des pouvoirs publics ?
Éric Fillon : On sent qu'on est vraiment en marge des préoccupations. Parce qu'on est beaucoup moins bons que d'autres institutions culturelles, comme l'Opéra, qui sont installées et ont un poids politique reconnu.
Olivier Boccon-Gibod : On est loin d'être un lobby, c'est vrai, mais pendant des années notre discours n'a pas été cohérent parce qu'on n'était tout simplement pas organisé. Maintenant, avec la structuration associative, on a une certaine légitimité. Si on n'a pas encore de réponses franches, au moins nos questions sont entendues. Et depuis un an, avec toutes les difficultés qu'il y a eu — la disparition de Dandelyon, les difficultés de Kao Konnection, le label Aza-Id qui perd tous ses emplois — le C-MAL est devenu un organe plus politique. En quoi est-ce que la disparition de certaines structures de musiques actuelles rejaillit sur les autres ?
Éric Fillon : C'est une chaîne : Dandelyon a permis à Mediatone de remarquer de jeunes groupes qu'on n'aurait pas forcément découverts par nous-mêmes et qu'on a pu ensuite intégrer à notre programmation. Avec Dandelyon, c'est tout un travail de défrichage qui disparaît.
Olivier Boccon-Gibod : Chaque disparition fragilise l'écosystème. Le Kao, par exemple, c'était une super exposition pour les premières parties, qui sont économiquement très risquées. Quand on repérait un jeune groupe, souvent leurs premières armes “professionnelles“ se faisaient souvent au Kao.
Antoine Levallois : Le résultat c'est que pour les groupes motivés, qui ont déjà un peu d'expérience, il n'y a plus de lieux intermédiaires pour des concerts un peu “organisés“. Souvent, ils perdent du temps, s'engagent dans des voies hasardeuses et très peu structurantes. J'ai peur que dans deux, trois ans, les groupes pop-rock aient beaucoup de mal à émerger.N'y a t-il pas toujours eu un problème avec l' “émergence“ à Lyon ?
Olivier Boccon-Gibod : Il n'y a qu'à Lyon qu'on dit qu'il n'y a pas de scène lyonnaise. En fait la scène lyonnaise s'exporte très bien. Sans parler de la scène dub ! En chanson, CarmenMariaVega, Karimouche, Buridane et Koumekiam sont les quatre artistes les mieux côtés de la scène nationale en chanson. Toutes les villes, tous les programmateurs en France disent que la scène lyonnaise est extraordinaire. Seulement, il n'y a pas d'ambition, ni de revendication de la scène lyonnaise par les institutions.
Antoine Levallois : Du coup les groupes se débrouillent, mais il n'y a personne derrière. Le C-MAL a fixé une échéance le 3 octobre au CCO de Villeurbanne pour une concertation des acteurs avec les tutelles. La mairie, notamment, doit donner des pistes de réflexions et d'actions sur sa politique en matière de musiques actuelles. Résultat : on n'est pas sûr que Georges Képénékian, l'adjoint à la Culture, sera présent.Comment est-on supposé dialoguer avec quelqu'un qui n'est pas là ?
Olivier Boccon-Gibod : C'est un bon exemple. Quand nous avons lancé cette concertation, le 18 juin dernier au cours d'une conférence de presse, on nous a assurés que l'adjoint serait là pour faire le point le 3 octobre. Et la semaine dernière on apprend que Georges Képénékian sera en déplacement à Berlin et qu'il se fera représenter. Ce qui change complètement la teneur et le poids de notre propos. Si même en prévenant les politiques quatre mois à l'avance ils ne viennent pas, ça en dit long sur la considération qu'on nous porte.Vous avez des revendications claires auprès de l'adjoint à la Culture ?
Olivier Boccon-Gibod : Oui, nous avons fait des concertations tout l'été avec son cabinet, parfois directement avec lui. Nous avons travaillé par thématique, en mutualisant les problématiques de chacun pour avoir un message clair. On a par exemple réfléchi ensemble à la mise en place d'un fond d'intervention pour éponger temporairement des décalages de trésorerie. Ce genre d'outil ne peut être mis en place que par les tutelles, parce qu'elles peuvent aller voir les banques.
Éric Fillon : Il y a plein de choses à faire qui ne nécessitent pas forcément plus d'argent : par exemple, nous aider à trouver et convaincre des grands mécènes qui n'ont pas l'habitude d'aider des secteurs comme le nôtre, ne savent pas comment valoriser leur image. Il pourrait y avoir quelqu'un à la Ville pour cela.Justement, que pensez-vous du mariage public-privé, qui a marqué les difficultés du Ninkasi, mais dont beaucoup pensent qu'il est l'avenir ?
Fabien Hyvernaud : En France, ce n'est pas encore trop dans les moeurs. Dans le cas du Ninkasi, ça a été assez mal perçu. Beaucoup, même au sein du C-MAL, ont jugé cette articulation publicprivé un peu problématique, mais je pense sincèrement que c'est l'avenir. Il faudra compter de moins en moins sur les tutelles.
Olivier Boccon-Gibod : Mais pour l'émergence c'est compliqué, le privé a tendance à investir sur des choses exposées, rentables, par sur l'émergence. Nous on est l'arrière-boutique, on travaille pour le futur. Mais quand Georges Képénékian dit, à propos du CNP : «on ne peut pas dire “je suis une structure privée“ et ensuite aller crier dans les journaux “la Ville n'a rien fait pour moi“»... N'y-a-t-il pas là une part de vérité qui vaut pour les musiques actuelles, le Kao par exemple ?
Éric Fillon : À partir du moment où la Ville n'envisage pas de créer de SMAC (Scène Musiques Actuelles, NdlR), il est normal qu'il y ait des initiatives privées. Et s'il y a un projet culturel digne d'une SMAC, comme le Kao, cela coûte moins cher aux collectivités de lui venir en aide une fois la salle construite que si elles avaient créé elles-mêmes la salle.
Olivier Boccon-Gibod : Et puis il ne s'agit pas de demander de l'argent pour la diffusion pure, la diffusion, elle fonctionne. Nous ne parlons que d'aider des projets culturels, parce que faire de l'émergence, ce n'est pas autre chose que perdre de l'argent. L'idée c'est : «nous avons construit un tuyau, quel contenu vous voulez mettre dedans ?».On sait l'importance d'événements vitrines, comme Nuits Sonores, qui profitent beaucoup à la ville. Ce genre de gros événements a-t-il un impact sur votre travail ?
Éric Fillon : Il y a une vraie volonté politique avec Nuits Sonores qu'il n'y a pas globalement avec les musiques actuelles, c'est sûr, mais au-delà de ça, c'est quand même un maillon essentiel, qui peut nous aider à aller plus loin. Et qui nous soutient.
Olivier Boccon-Gibod : Cela met Lyon sur la carte européenne des musiques actuelles, cela fait venir du monde de toute la France, des media, des mécènes. Mais d'un autre côté, ça ne suffit pas à animer les 363 jours restant. Nuits Sonores est une réussite du précédent mandat mais ne peut pas être la réponse à tous les problèmes. La vitrine est essentielle mais la question c'est : où est l'arrière-boutique ? En dépit de toutes les difficultés que vous rencontrez, avez-vous de vraies satisfactions ?
Olivier Boccon-Gibod : Nous dressons un tableau très noir mais, dans ce contexte un peu compliqué, il y a quand même une solidarité très forte qui se traduit par des actions concrètes, des coproductions. Comme nous sommes livrés à nous-mêmes, nous avons aussi tendance à muter. À l'origine producteur de concerts, Mediatone est devenu manager puis label. À Caravelle, nous ne sommes plus seulement tourneur, nous avons produit des albums, fait un peu de management, créé un label...
Éric Fillon : C'est une manière d'être plus efficace. Nous ne nous contentons pas d'attendre pour agir. Avec Mediatone, nous n’avons jamais proposé autant de dates : 26 en deux mois, ce qui est très dense.
Olivier Boccon-Gibod : C'est pareil à Caravelle et c'est un peu paradoxal. Sur les 90 prochains jours, nous avons 80 concerts prévus. Nous nous sommes également associés avec un producteur espagnol pour ouvrir un bureau à Barcelone qui sera un relais vers l'Amérique du Sud. Pour cela, nous nous débrouillons seuls, nous allons chercher des solutions qu'auraient presque pu mettre en place des politiques... L'énergie est là, les compétences sont là et on y arrive malgré toutes les difficultés. Mais on pourrait y arriver bien mieux.

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