Qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?

Véritable mammouth du rock en live, on pensait qu’Arcade Fire capitaliserait sur son succès et sortirait un troisième album calibré pour leur démesure scénique. Or, "The Suburbs" est intimiste, cohérent et conceptuel. Un disque majeur, à réécouter avant leur concert à la Halle Tony Garnier. Christophe Chabert

Ceux qui ont assisté à un concert d’Arcade Fire lors de la tournée de Neon bible ou, plus chanceux encore, de Funeral, savent que le groupe a peu de concurrence niveau débauche d’énergie sur scène et capacité à faire entonner leurs hymnes par des publics en transe. On pourrait ergoter que leur musique y laisse quelques plumes, au bord de la cacophonie ou du brouillard sonique… Et les mélomanes exigeants pourront s’amuser à pister ce qui, dans les albums eux-mêmes, prépare l’auditeur à participer à la grand-messe. Arcade fire, groupe indé ayant réussi en un temps record à entrer dans la catégorie des groupes de stade façon U2 ou Muse, aurait pu se contenter de gérer cette popularité-là, faisant de chaque nouveau disque le prélude à un futur happening collectif débraillé et cathartique, ou en rajouter une couche dans le lyrisme rock incisif et électrique, avant de décupler le tout sur scène. Mais pour leur troisième album, le déjà sous-estimé The Suburbs, ils font tout l’inverse, au risque vérifié de dérouter leur public.

Circuit fermé

Si Neon bible affichait quelques envies de renouvellement (notamment par d’inattendus échos springsteeniens), le disque restait conforme au programme exposé dans Funeral : des fans de Bowie qui font rentrer les morceaux de Godspeed you black emperor dans un format pop avec couplets et, surtout, refrains. Né à Montréal autour du couple Win Butler (l’Américain) et Régine Chassagne (l’Haïtienne naturalisée canadienne), le groupe faisait la synthèse de l’avant-garde rock de là-bas, audacieuse et engagée, et de la culture FM des années 80-90. Alliage détonnant et immédiatement salué comme une révélation majeure, au point de faire rapidement école. Or, The Suburbs laisse presque tout cela de côté : on peut même oser que les morceaux rappelant le passé d’Arcade fire ne sont pas les meilleurs de l’album (Deep blue et ses «la la la» encombrants, We used to wait et son refrain un peu attendu). À la place, on découvre une drôle de nostalgie, celle des années de jeunesse de Butler et Chassagne ; nostalgie musicale avant tout, car si cette période fait retour dans les arrangements très new wave des morceaux, les textes se chargent de remettre ce folklore à sa juste place, dans son ennui banlieusard et le désir éperdu de se barrer au plus vite d’un présent sans horizon, sinon celui des centres commerciaux qui poussent comme «des montagnes derrière des montagnes» (Sprawl II). En cela, la structure du disque est essentielle à son écoute : une boucle parfaite où la mélancolie laisse place à l’euphorie, le morceau titre venant ouvrir et fermer l’album sur deux humeurs contradictoires. Tout du long, Chassagne et Butler jouent d’ailleurs sur la répétition : d’un motif, d’un titre, d’une expression. Certaines chansons forment ainsi un diptyque, comme si un même événement était traité des «deux côtés de la rue», le deuxième volet étant toujours sur un mode ouvertement synthétique avec des claviers vintage presque disco (Sprawl II encore, qu’on croirait exhumé des tiroirs de Blondie). La grandeur de The Suburbs tient à cela : non seulement les chansons sont remarquables, mais elles forment un tout qui fait sens. Le surplace dont les textes parlent est aussi celui de la structure du disque, qui part dans plusieurs directions mais retourne toujours à son point initial. Les élans d’évasion, les poussées de fièvre, les colères et les bras d’honneur laissent la place au désarroi, à l’attente et à la frustration.

Passéisme frondeur

Avec ce disque, Arcade fire s’affirme clairement comme un groupe passéiste. Fustigeant le progrès, le capitalisme, l’individualisme et le consumérisme, mais refusant aussi, et c’est tout de suite plus intéressant, la musique à l’ère Itunes, qui oblige à sortir de faux albums à découper soi-même sur son ordinateur, limités à dix morceaux (sinon ce n'est pas rentable), empilant des tubes faciles pour satisfaire des générations de kids zappeurs. Les seize titres de The Suburbs, sa fière architecture et son absence de hit fédérateur renvoient à une période où le rock rusait avec l’industrie, préférant l’indépendance artistique au marketing moisi. C’est au centre ville du music business qu’Arcade fire a retrouvé le goût de la fronde et l’envie de mettre le feu à sa banlieue.

Arcade fire
À la Halle Tony Garnier vendredi 26 novembre
«The Suburbs» (Barclay / Universal)

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