Roots bloody Roots

La séquence, tournée lors du dernier festival Coachella (Californie), dure 297 secondes. Elle a fait le tour de l'Internet mondialisé en cinq. Normal : on y voit Tupac Shakur, icône new-yorkaise du gangsta rap, interpréter devant plus de 80 000 personnes deux de ses classiques... alors qu'il est décédé le 7 septembre 1996 dans un hôpital de Las Vegas des suites d'une indigestion au plomb (quatre balles, pour être exact). Pour qui a traversé la fin du XXe siècle un bandana sur la tête, les images sont aussi sidérantes que celles de Jésus sortant du Saint-Sépulcre le seraient pour un membre de l'Institut Civitas. Elles ne tiennent cependant pas du miracle. Ou plutôt si, mais d'un miracle technologique, en l’occurrence un couteux hologramme.

Elles posent surtout question : l'époque serait-elle à ce point en manque de MC's charismatiques qu'il lui faille se résoudre à la nécromancie ? La venue de Roots Manuva à l’Épicerie Moderne est l'occasion de répondre par la négative. Car depuis presque deux décennies que ce Londonien d'origine jamaïcaine a entrepris de couvrir le monde «d'amour et de basses», et même si ses productions les plus récentes pêchent par dispersion, force est de reconnaître qu'il demeure intouchable en termes d'intensité et d'audace formelle. Son secret : avoir dès le départ assumé sa double culture musicale (pop et british hip-hop d'un côté, reggae et de dub de l'autre) et, de Speech Debelle à Dels, n'avoir jamais quitté des oreilles sa propre relève.

Benjamin Mialot

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