Aux frontières du Raël

Génie de la lampe pop française, Sébastien Tellier s'est mué avec "My God is blue", son dernier album, en gourou bleuté salement illuminé. Pour le meilleur et pour le rire. Alors, abus de Pépitos bleus, crise mystique, foutage de gueule ? Tentative d'explication. Stéphane Duchêne

Les chanteurs sont-ils destinés à devenir des gourous ? Par définition oui, puisque les meilleurs d'entre eux sont l'objet d'un culte et culbutent de la groupie/adepte à tour de bras. Mais de vrais gourous, au sens propre du terme ? Aussi. On oublie notamment trop souvent – et sûrement vaut-il mieux l'avoir oublié – qu'avant d'exercer la profession de gourou à succès, Raël fut autrefois, dans les années 60, chanteur sous un autre pseudonyme, Claude Celler, dans un style singeant plutôt grossièrement Jacques Brel.

 

En dépit de titres aussi forts que Madam' Pipi ou Monsieur votre femme me trompe – où déjà point le crevard de la fesse, cette première carrière n'a malheureusement pas les retombées escomptées et le suicide de son producteur marque la fin de l'expérience. En 1973, Claude Vorilhon, son vrai nom, un temps journaliste sportif, se lance donc, sans doute à la suite d'un bilan de compétence mal branlé, dans une double carrière de «messager» de nos cousins stellaires les Elohims et de demi-frère de Jésus – à l'époque, il y a un vrai problème avec les bilans de compétence, le chômage étant il est vrai une nouveauté plutôt exotique.

 

Et Raël de réussir là où Celler et Vorilhon ont échoué : chopant caillasse et gourgandines, jusqu'à la constitution d'un entourage d'«anges de Raël» exclusivement recrutés sur leur physique et dévolus à son «bien être» - ce qui est bien légitime quand on sait ce qu'on a fait subir à son demi-frère JC, mort puceau, le pauvre.

 

Pépito bleu

 

Quel rapport avec Sébastien Tellier ? À peu près rien et à peu près tout. D'abord, c'est à peu près l'ambiance, telle que souvent décrite de certains rassemblements raëliens connotés "aimez-vous les uns les autres mais moi d'abord" que l'on retrouve dans le clip de Cochon Ville, single de My God is blue, dernière saillie musicale du génie pop. Lequel y figure en toge, les yeux exorbités et bleu turquoise, exhortant une assemblée copulatoire à se prosterner devant lui.

 

Mais ce n'est pas tout : du génie au gourou voire au Dieu, il n'y a souvent, comme nous le disions, qu'un pas que n'a pas hésité à franchir Tellier après ingestion de Pépito bleu, métaphore d'une supposée rencontre avec un chaman de Los Angeles qui lui aurait fait voir la vie, et Dieu, en bleu.

 

Et qui a donné My God is blue, un genre de space-opera très space que l'on prendrait volontiers à l'énième degré, s'il n'était par moment aussi impressionnant – Magical Hurricane, My Poseidon, Yes it's possible – et si son auteur ne le défendait pas avec le sérieux (feint ?) d'un chef de secte(ur).

 

Car le chanteur au look de Christ-rugbyman aime à pousser le concept jusqu'à se fendre du packaging complet. Au point d'avoir créé l'Alliance Bleue. Non pas un groupe de soutien à Jean-François Copé mais un mouvement, basé sur «l'imaginaire et la tendresse», qui prolongerait son art et dont il serait non pas le gourou mais la « Maman ». N'importe quoi ? Oui, un peu.

 

Ovide sidéral

 

Il faut dire qu'après le libidineux et kitsch Sexuality (2008), qui faisait allègrement rimer Rubettes et roupettes dans une atmosphère bien chaudasse et après être allé faire l'intéressant à l'Eurovision, sans intéresser quiconque, Tellier semblait pris au piège de son personnage.

 

Comme s'il avait voulu nous faire oublier à grands renforts de pitreries, de culte du kitsch et d'extra-lucidité hipster – n'être tellement pas cool qu'on en devient ultra cool parce que lol, tu vois... – qu'il était un compositeur de premier plan, peut-être saoulé qu'on lui renvoie sans cesse à la barbe cette Ritournelle (sur l'album Politics) qui le propulsa sur le devant de la scène et qui lui fit longtemps office de sparadrap du capitaine Haddock. Ce alors même que, depuis ses débuts, cette excentricité et cette volatilité-facilité musicale sont à l’œuvre sur des disques (Politics, donc, L'Incroyable Vérité, ses musiques de film) qui se suffisent à eux-mêmes. À moins que tout ceci ne soit que ruses d'un type qui ne sait pas comment nous jeter son talent au visage. Une manière de répondre à la question "mais enfin, pourquoi fais-tu ça, Sébastien ?" par un cinglant : "parce que je peux".

 

Toujours est-il qu'on ne sait pas ce que – ou qui – sera le prochain Sébastien Tellier, une fois sa crise pépito-mystique passée et son Alliance Bleue dissoute dans le rouge qui tache – parce que oui, c'est ainsi que ça finira. Doit-on s'attendre au pire ou au meilleur dans ce perpétuel jeu de masques, de changement (de costume) dans la continuité, auquel se livre l'Arturo Bracchetti de la pop hexagonale pour ne pas nous dévoiler son Incroyable Vérité ? A moins qu'elle ne soit celle-ci précisément.

 

Après tout comme disait Lavoisier : «rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme». Allez donc savoir si les "Métamorphoses" de Sébastien Tellier n'en font pas une sorte d'Ovide du XXIe siècle. Un Ovide qui exorciserait sa peur du vide sidéral par une tendance au trop plein sidérant, s'inventerait des visions pour avoir l'air visionnaire et ferait du Raël qui sommeille en lui un substitut au réel.

 

Sébastien Tellier
Au Transbordeur, mercredi 17 octobre

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