La Chute du mur

Duo mixte de San Francisco, qui cite Emerson autant qu'Alan Vega, Moon Duo avance en cercle dans le seul but de franchir le mur du son. Et y parvient. Stéphane Duchêne

Le mur du son. Les hommes ont un truc avec ça depuis les premiers pionniers de l'aviation moderne. Récemment, le monde entier l'a vu, l'Autrichien Felix Baumgartner l'a même franchi «à pieds» en se jetant d'un tremplin stratosphérique. De leur côté, nombre de musiciens et/ou producteurs ont cherché à l'enfoncer d'un coup d'épaules ou en s'élevant eux-mêmes à la force de leur inspiration, de Phil Spector, inventeur du "Wall of Sound" – et qui en est d'ailleurs tombé avec moins de grâce que le stratosnaute – à My Bloody Valentine, du Velvet Underground à The Seeds, ou aujourd'hui des Black Angels aux Raveonettes.

Tombés du nid Wooden Shjips, «Ripley» Johnson, forcément barbu comme patriarche, et Sanae Yamada jouent dans cette cour-là mais y disposent sitars et préceptes issus de la pensée du gourou des transcendantalistes Ralph Waldo Emerson (auquel on doit le titre de leur album). Ici, le mur du son se traverse en passe-muraille somnambule – comme sur le single Sleepwalker.

Cercles

Perchés, bien perchés, peut-être au sommet du Golden Gate Bridge – image qui ornait un disque de Wooden Shjips, peut-être sur la Lune, peut-être sur les hauteurs du Colorado, où ils ont enregistré, les duettistes voient loin et large, et leur spectre ou, pourrait-on dire, leurs spectres musicaux sont infinis, tous pas mal déglingués et qui tournent : de Spacemen 3 à Suicide. Ce «Ripley» notamment, plus alien que lieutenant éponyme, a quelque chose de cette inquiétante étrangeté qui nous a toujours coupé l'envie de croiser Alan Vega dans une ruelle après 16 heures (Circles, I Been gone, «suicidaire» en diable).

Comme sur leur dernier maxi avant album, Moon Duo est de ces groupes qui vous traîne par les pieds avec des airs de vouloir vous massacrer (Horror Tour) pour finalement, sur Causing a rainbow, un instrumental à la mélodie comme arrachée aux entrailles You should always keep in touch with your friends de The Wedding Present, vous montrer un arc-en-ciel sur la baie de San Francisco. C'est ainsi, avec eux on tourne en rond, on revient sur nos pas comme pour une danse animiste, et c'est bien le but recherché, créer une transe affolante et réconfortante à la fois.

Partant de Saint-Augustin qui décrivait «La Nature de Dieu comme un cercle dont le centre serait partout et la circonférence nulle part», Emerson, pour qui, en bon transcendantaliste, l'homme est au centre de toute chose, écrivit en 1841 : «L’œil est le premier cercle ; l’horizon qui l’englobe est le second cercle ; et partout parmi la Nature, cette figure élémentaire se répète sans fin». Et dès lors, de murs, par définition, il n'y a plus.


Moon Duo

Au Sonic, mardi 30 octobre
«Circles» (Sacred Bones Records/Souterrain Transmissions)

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