Si loin, tout proche

Souvent qualifié de Dominique A lyonnais depuis l'époque King Kong Vahiné, Denis Rivet souffre la comparaison mais ne s'y réduit pas. Échappé en solitaire avec le très beau mini-album "Tout Proches", ce chanteur de l'entre-deux vient d'être sélectionné pour représenter Rhône-Alpes au Printemps de Bourges. Stéphane Duchêne.

«Dimanche, 18 heures, c'est déjà lundi / les dernières lueurs / tombent dans la nuit / dans ton cœur / il y a de la mélancolie / sur la route du fort / il y a la pluie». Rédiger un portrait de Denis Rivet un dimanche d'hiver en écoutant en boucle son Dimanche, 18h, voilà qui plonge illico dans le syndrome du dimanche soir. C'est un fait, que ce soit avec Le Bruit des Touches ou King Kong Vahiné (lauréat de feu Dandelyon en 2006), Denis Rivet, 37 ans, a toujours su mettre des mots sur ces petites sensations indéfinissables, ces impressions fugaces, ces sidérations qu'on ne saurait forcément nommer mais qui nous traversent sans cesse. Jusqu'à ce qu'un jour, un scientifique distrait se penche sur la question en trébuchant et nous invente le «syndrome du dimanche soir», «la colique d'avant piscine», ou «la boule au ventre de l'Amour qui passe».

« Près des voies ferrées »

Comme ce Monsieur A auquel on l'a beaucoup comparé, mais avec une patte bien à lui, preuve que la comparaison est aussi flatteuse qu'injuste et néanmoins assumée – «je n'ai jamais ressenti autant de proximité avec un artiste. J'ai écrit La Ville est tranquille [King Kong Vahiné, NLDR] avant de le connaître et sa découverte a été un choc. Ensuite je l'ai beaucoup écouté et ça m'a probablement déteint sur la gueule» –, Denis R. est de ces poètes des zones grises de la vie (géographiques, musicales, mentales, sentimentales), coincées dans un entre-deux, banlieue pavillonnaire d'affections pendulaires.

Ces zones grises, Denis Rivet, fils d'ouvriers, y a grandi jusqu'à en devenir une : «On habitait près des voies ferrés ou dans des impasses. Ça a dû me marquer, me transpercer. Gamin, je me suis beaucoup ennuyé. A 18 ans, je suis parti au Québec : trois années lumineuses. Pourtant quand je relis mes carnets de l'époque, il y a une mélancolie terrible. J'avais plein de potes mais j'étais aussi un grand solitaire».

De là, sans doute, cette tendance à l'observation, participative ou non, chez celui qui travaille, dans le paysage de plus en plus désertique des Réseaux d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficultés, à combattre des moulins à vents à coups de polycop' : «J'ai une vie où je fais tellement mille choses que je ne suis jamais aussi heureux que quand je me pose dans un café à regarder les gens. J'aime observer, regarder, prendre de la distance».

De la distance, Denis Rivet en a pris aussi avec King Kong Vahiné, contraint et forcé. Les vies de chacun ayant quelque peu gelé le projet, il a fini par décider de se relancer seul, se découvrant léger dans le grand saut : «Je n'ai plus envie de porter un projet pour un groupe. En solo, il y a un côté super léger même si c'est vraiment dur d'aller au charbon tout seul. Il faut tout tenir, tu ne peux te reposer sur personne. Mais c'est aussi ce que je cherchais quand j'ai commencé à faire des concerts en solo : me coller à ça».

«Ce qui a plu»

Le résultat est reconnaissable entre mille pour qui connut les Vahinés : ambiances nuageuses façon Lithium (le label mais pas que), mélodies d'entresol et textes en demi-teintes qui disent sans dire, évoquent plus qu'ils ne parlent, enlacent sans retenir, tel ce magnifique «Tout ce qui vous tient» en duo avec Frédéric Bobin. Mais le musicien y apprend aussi «la nudité» d'être à soi – simplicité sophistiquée qui n'est pas sans rappeler Yves Simon, modèle avoué : «J'aime cette idée d'un quotidien impressionniste. Je n'ai pas envie de commencer à dire que Dimanche, 18h se passe dans un Renault Scénic en donnant le numéro d'une départementale. C'est au départ inconscient mais si je prends un peu de recul sur mes chansons, je me rends compte qu'elles ne sont pas datables».

Sans doute aussi, au-delà du charme intemporel de ses chansons, la réussite de cet album tient elle à une volonté farouche de ne pas se cacher derrière l'arbre sec de l'auto-production, signe d'une ambition sage mais bien réelle : «Quitte à y aller, autant sortir un vrai CD, chiader les visuels, la prod'. Après, la question c'était : cet album j'en fais quoi ? Faire tous les rades de Lyon et filer mon CD à des mecs qui n'en ont rien à branler avec l'espoir de taper un troquet le 25 décembre pour que dalle ? J'ai choisi de ne viser que les tremplins : là, tu as l'assurance qu'on va te répondre. Tu es pris, tu y vas ; tu gagnes, tant mieux ; tu ne gagnes pas, au pire tu rencontres des gens. L'idée était vraiment de garder mon énergie pour la musique, les sets, les arrangements».

Premier envoi : les présélections régionales de Bourges. Il est pris. N'en revient pas en ce soir de novembre où on le rencontre. Se demande «ce qui a plu». Confesse avoir vérifié s'il n'y avait pas de limite d'âge. Et puis : «deux heures après l'annonce des présélections de Bourges, coup de fil d'un programmateur que j'avais déjà appelé plusieurs fois et qui ne m'avait jamais calculé». Dans le week-end où l'on écrit ces lignes, Denis Rivet a appris sa sélection pour Le Printemps de Bourges, consécutive aux auditions régionales de mi-décembre, «ravi du travail qui s'annonce sur les trois prochains mois pour faire en sorte d'avancer musicalement mais aussi sur tous les autres fronts». Deux mois plus tôt il confiait : «Le cap de l'arrêt de toute ambition, je le mets vraiment dans cet album-là. J'ai encore envie de m'accrocher, d'y croire, de ne faire que ça, vivre ça à fond. Ce sont des rêves de gamin que j'ai encore». Car comme il le chante sur Dimanche 18h toujours, dans ce cœur où se glisse «un mortel ennui (…) il y a de l'envie aussi».

Denis Rivet
Au Théâtre des Pénitents (Montbrison/Tremplin des Poly'sons), samedi 26 janvier
Au Marché Gare (première partie de Mathieu Boogaerts, Les Chants de Mars), samedi 23 mars
Tout proches (Anthropoïde/Birdy Birdy Partners)

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