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Démocratie pop

Jusqu'ici prometteuse fanfare pop, les Salmon Fishers sont devenus en 5 ans bien plus que les "Arcade Fire Lyonnais" : une formation ambitieuse qui se paie le luxe de fonctionner comme une petite démocratie et redonne un peu de sens au terme "rock indépendant". Stéphane Duchêne

La phrase est entrée dans l'histoire avec son auteur. Ayant pourtant pratiqué bugne à bugne les plus vils autocrates du XXe siècle, le crapaud Winston Churchill lança un jour avec ce flegme qui sied aussi bien aux Britanniques qu'aux batraciens : «La démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres».

Il n'imaginait alors sûrement pas que l'adage s'appliquerait à la lettre à une matière bien différente de la politique : le rock 'n' roll. A la lettre... à l'exception de son exception, justement : en matière de rock, «la démocratie est le pire des régimes», point barre. Quand un groupe n'est pas l'émanation d'un cerveau omnipotent, il peut éventuellement fonctionner en double régence (chanteur-guitariste la plupart du temps), plus rarement en triumvirat romain. Cela finit généralement mal : la couverture, la toge, les lauriers, la couronne, sans parler de ses joyaux, n'étant jamais assez grands ni nombreux pour tout le monde. Bref en la matière, la démocratie c'est l'anarchie maquillée en bordel.

 

On serait pourtant tenté de dire, après avoir rencontré deux de leurs sept membres, Christophe Burté, bassiste, et Allan Garmat, batteur, envoyés au front comme porte-paroles de la communauté – quand on s'attendait à voir débarquer ce qu'on pensait être le grand timonier de l'ensemble, le chanteur Robin Vincent – que «la démocratie est le pire des régimes, à l'exception des Salmon Fishers».

 

Reine-Charlotte

C'est lors d'un séjour au Canada, plus précisément en Colombie-Britannique, sur l'archipel de la Reine-Charlotte (rebaptisé en 2010 Haida Gwaii), que Robin, Grégory Pointeau et Valérian Darbousset ont le coup de foudre pour la scène musicale canadienne (Arcade Fire en tête) et un pub baptisé... The Salmon Fishers. De retour à Lyon «la tête pleine d'idées», les trois entreprennent, une fois convoqués quelques cuivres, de reproduire la dynamique orchestrale de cette pop nordique grandiloquente et brinquebalante qui leur a fendu le cœur.

 

 

Un premier EP, Coconuts, un single, Tiny Odyssey, un nom qui commence à circuler (une demi- finale du tremplin Inrocks Lab au Transbo), c'est en définitive avec l'arrivée de trois nouveaux membres que le groupe élargit considérablement ses horizons. Une alchimie et un éclectisme, entre «rythmiques punchy et richesse des textures musicales», qui conduit au EP conceptuel Karuselli, occasion d'explorer toutes les pistes esthétiques entrevues. Musicales (de The National à LCD Soundsystem, en passant par le hip hop), mais pas seulement.

 

Car il y a aussi cette volonté de frapper fort sur l'aspect visuel et multimédia avec un projet plutôt ambitieux, et un peu fou à ce stade de la compétition : produire cinq clips d'un coup, distillés au compte-gouttes pour accompagner chacun des morceaux de l'EP. «L'idée, explique Allan, était de proposer un projet artistique global plus qu'un simple CD qui se serait contenté de dire : "voilà où on en est musicalement"».

 

«Dès le premier maxi, poursuit Christophe, on a voulu appuyer le côté visuel de notre univers, mais à l'époque on n'avait tout simplement pas les moyens. En plus, sur Karuselli, les chansons se suivent dans les paroles comme dans l'intention, elles forment un tout». Allan : «Chaque film est directement inspiré d'un morceau et du thème général de l'EP, qui raconte les errances d'un individu et représente, via des personnages différents, des facettes de sa personnalité, plongée dans des contextes bien précis. Mais tous sont reliés entre eux».

 

Force collective

Le résultat est bluffant et on peut voir dans son intention comme une métaphore du groupe idéal que serait les Salmon Fishers, une somme de personnalités reliées par une même envie. Une démocratie dans laquelle le «père fondateur» et chanteur Robin, pas du genre dictateur, a volontiers lâché du lest pour le bien commun.

 

«C'est Robin qui a défini le groupe et qui l'a longtemps porté, reconnaît Christophe, mais depuis qu'on est un peu plus entourés, notamment par Gourmets Recordings, il se concentre beaucoup plus sur l'artistique. Aujourd'hui, on a une vraie réflexion sur comment avoir un groupe sans qu'il y ait forcément un leader à la tête d'une structure pyramidale. Le fait d'être nombreux engendre des difficultés, notamment, pour tourner ou ce genre de choses, mais constituer une seule et même entité, massive et collégiale, nous donne beaucoup de force et de détermination».

 

C'est cette force collective, cet élan, qui transparait à l'écoute de Karuselli, comme sur l'irrésistible 3 Years, dont le refrain final pourrait valoir devise à cette petite démocratie musicale indifférente à l'adversité et aux concessions car sûre de sa force : «We ran in the rain / With people around / Now we can dance forever». S'il était encore de ce monde, même ce vieux crapaud de Winston aurait les jambes qui le démangent, la démocratie qui le chatouille et jetterait sans doute sa canne et son cynisme pour se joindre à cette course effrénée vers la liberté et l'indépendance.

 

Le French Kiss des Salmon Fishers (avec Erotic Market, Yann Destal, Yeast, Ladybug & the Wolf, Tachka...)
Au Club Transbo, mercredi 25 septembre

Salmon Fishers – Karuselli (Gourmets Recordings)

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