Mendelson - Mendelson

Sur Tout refaire, tiré de l’album Seuls au Sommet, Pascal Bouaziz chantait il y a dix ans : «Le noir c’est plus gai / Le noir c’est plus joli / Le noir empêche de voir le monde / Le monde que la lumière salit». Si l’on s’en tient à cette considération, alors Mendelson serait le plus "joli" album du monde. Car des trois disques qui le composent coule l’encre noire du côté obscur de l’existence humaine. Dès le premier titre, La Force quotidienne du Mal nous étreint et le groupe nous emmène toujours plus loin dans un voyage au cœur des ténèbres. A ceci près qu’ici les ténèbres n’empêchent aucunement de voir le monde, mais projettent sur lui un éblouissant soleil noir qui le révèle pour ce qu’il est.

Loin de «tout refaire», Bouaziz et Mendelson, obsédés par l’idée de ne pas se répéter, ont tout défait, tout cassé : les formats, les genres, la notion même de chanson dont il ne reste que l’échafaudage vacillant. Ils ont brûlé la terre pour fouler la cendre d’un prodigieux post-rock littéraire, quadrature du cercle d'un groupe qui semble arrivé au bout de La Route. Et comme du roman de McCarthy, on aimerait pouvoir dire que Mendelson est post-apocalyptique – c’est l’effet qui en ressort.

Mais il n’est que l’émétique, car étouffant, thésaurus d’un présent bien réel qu’on vit et qu’on ne saurait voir – entre cauchemar social (celui, terrible, de Ville Nouvelle), résignation antalgique (Il n’y a pas d’autre rêve, "tube" de l’album) et exorcisme trompe-la-mort (Le Jour où) – mais qu’il faudrait dire pour mieux respirer. Et Bouaziz de réinventer une manière de dire ses choses "péréciennes" : comme décuplée, sa propension au vertige textuel aspire comme un trou noir, jette des pavés dans la merde, éradique les mélodies – un, deux, trois accords, pas plus, écorchés, lancinants, grondants –, laisse le chant hors-champ, hors-sujet. Joue du silence comme de la seconde qui précède, ou suit, la catastrophe.

Du silence on dit que celui d’après Mozart est encore du Mozart. Un jour c’est sûr, on dira la même chose des silences de Mendelson. Parce que comme le noir, chez Mendelson, le silence aussi est éclairant.

Stéphane Duchêne

Mendelson (Ici d’Ailleurs)

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