Après un premier rendez-vous manqué pour cause de plantade à moto, le Transbordeur reçoit enfin le super trio berlinois Moderat. Lequel combine le meilleur de deux mondes : l'électro-pop passionnée d'Apparat d'un côté et la techno partouzarde de Modeselektor de l'autre. Benjamin Mialot
Au marché aux puces de Mauerpark, ce poumon vert de Berlin que transperçait jadis une section de l'infâme mur, on trouve absolument de tout, du surplus militaire à la collection de casse-noisettes. Si bien qu'on doit pouvoir y dénicher des potalas, ces boucles d'oreille magiques qui, dans le manga Dragon Ball, permettaient à deux êtres de fusionner en une entité transcendant leurs qualités respectives. Ainsi, en tout cas, aurait pu naître Moderat, réunion du duo Modeselektor et d'Apparat, autrement dit trois des producteurs les plus emblématiques de la scène électronique allemande des années 2000. Mais aussi trois des plus dissemblables.
Composé de Gernot Bronsert et Sebastian Szary, Modeselektor produit de son côté une techno potache et métamorphe, d'où cadences hip hop et basses dubby giclent tels le champagne dont ils arrosent leur public, souvent avec la complicité de souscripteurs du Who's who de la musique indé, du rappeur-mitrailleur Busdriver aux post-punks kubrickiens de Maximö Park. Né Sascha Ring, Apparat s'est lui fait connaître avec une IDM fractionnée et cafardeuse à la Aphex Twin, avant de se révéler, sur le très rêveur Walls puis sur le déchirant The Devil's Walk, en romantique pop à la voix ascensionnelle.
La belle Ellen
Rien ne prédestinait donc ces trois-là à unir leurs forces. N'étaient une loi fondamentale de physique, une bienveillance partagée envers l’altérite et la clairvoyance d'une autre figure berlinoise. A défaut d'une paire de bijoux, c'est en effet autour d'une paire de chromosomes X que Modeselektor et Apparat se sont découverts, ceux de la minimal queen Ellen Allien, qui a signé les uns sur Bpitch Control, enregistré un précurseur Orchestra of Bubbles avec l'autre et publié en 2003 le premier EP de Moderat. Lequel, laborieux jusque dans son titre (Auf Kosten der Gesundheit, «au détriment de la santé»), faillit bien être le dernier.
La suite relève de la Providence : après six longues années de progressions parallèles et des retrouvailles inopinées dans une piscine municipale, Moderat enregistre en 2009 et en 2013 deux albums aussi chiadés qu'impulsifs. Du M83 qui aurait macéré dans du béton, pour le dire vite. Deux albums, autrement dit, où le tout (particulièrement Seamonkey, idéal pour le peak time d'une Boiler Room dans un sous-marin, et Milk, bande-originale toute trouvée d'une épopée sur le taylorisme) n'est pas loin d'être supérieur à la somme des parties (la puissance de feu et le sens du déclenchement d'hystérie collective de Modeselektor, le formalisme atmosphérique et la majesté mélodique d'Apparat), mais dont on ne parvient pas encore à déterminer s'ils se prêtent mieux à une écoute au casque ou au pied d'une façade d'amplis.
Le concert du Transbordeur, dont la partie visuelle sera assurée par le polyvalent collectif Pfadfinderei (à l'origine des superbes gravures pop du clip de Bad Kingdom et de la plupart des artifices de Modeselektor), devrait nous y aider.
Moderat [+ Anstam]
Au Transbordeur, vendredi 21 février
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