Sun Ra : Le Roi Soleil brille sur A Vaulx Jazz

Plein Soleil

Centre culturel Charlie Chaplin

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Figure ô combien influente et énigmatique du jazz mais aussi de la pop, Sun Ra, décédé en 1993, ne sera évidemment pas à A Vaulx Jazz cette année. Et pourtant il vivra, à travers une soirée hommage menée par le Thomas Pourquery Supersonic d'abord, puis par l'antique Arkestra, formé dans les années 50 pour l'accompagner dans un voyage intersidéral et sidérant à travers une œuvre faite de religion, d'ésotérisme, de science-fiction, d'insoumission et de free style absolu. Stéphane Duchêne

Dans A travers les Airs (1950), Ray Bradbury mettait en scène des noirs-américains désireux de fuir la ségrégation raciale pour se réfugier sur Mars, relecture fantaisiste et fantastique du mythe de la Terre promise auquel il se trouva que Sun Ra, de son vrai nom Herman Blount, était très sensible. C'est que Blount naît, en 1914, et pousse à Birmingham, Alabama, haut lieu de la ségrégation contre laquelle il se construit largement – "émigré" à Chicago, il abandonnera plus tard son "nom d'esclave" pour celui de LeSony'r Ra, décliné en Sun Ra – tout en développant très jeune de prodigieux talents musicaux et une curiosité intellectuelle insatiable.

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Nourri d'exégèse biblique, d'égyptologie arrangée et, donc, de révolte identitaire, Sun Ra finit par en tirer une étrange cosmogonie musico-spatiale qui circonscrit, de manière assez large et complètement dingo, un univers esthétique et philosophique dans lequel il enrôle dès les années 50 le Sun Ra Arkestra – qui lui aussi héritera de nombreux patronymes.

Dans le documentaire A Joyful Noise, Sun Ra énonce dans une phrase qui doit être transcrite en anglais car elle joue avec les mots : «They say history repeats itself, but history is only "his story", you haven't heard my story yet. My story is different from "his story", my story is not part from history.» Manière de dire le refus de se répéter mais surtout la volonté d'écrire l'histoire (tout court, de son peuple, mais aussi musicale) d'un autre point de vue que celui des vainqueurs.

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Infini de la Liberté

Car, dit-il :

Ceux qui vivent dans la réalité sont les esclaves d'une mauvaise vérité, il n'y a donc rien d'autre que le mythe, dont les potentialités sont illimitées. Quelque part, de l'autre côté de nulle part, il y a un endroit dans l'espace, au-delà du temps, où les Dieux de la mythologie (...) vivent dans une mythocratie qui n'est ni une théocratie, ni la démocratie : un monde magique.

Sun Ra aurait visité cet endroit, et même très tôt puisque sa légende raconte qu'il aurait été enlevé en 1936 par des extraterrestres lui assignant la mission qu'il est ensuite "revenu" accomplir musicalement et philosophiquement : arracher l'homme noir à la Terre qui lui fait courber l'échine sur le sol américain depuis quelques siècles, pour l'élever, au sens propre comme au figuré.

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Devenu créature de l'espace, celui-ci n'est donc plus "noir" au sens où le lui impose l'infâme One-drop rule, loi stipulant qu'une goutte de sang africain fait de vous un noir. Il s'agit donc, ni plus ni moins, comme chez Bradbury, de fuir l'Amérique raciste, et d'ailleurs la notion même de racisme, pour se réfugier dans le cosmos, le grand Tout où tout est égal. Bâtir sa propre navette vers l'infini de la Liberté, y transporter son peuple, vivre la grande migration cosmique intérieure, voilà sans doute ce que Sun Ra a tenté de faire, symboliquement, avec son étrange musique, seul véhicule disponible pour cela.

Á partir du free jazz notamment, et dans ce terme même, Sun Ra s'est taillé une arme de libération massive. S'affranchissant même de cette esthétique via la musique africaine, le space rock, la musique concrète (il a travaillé avec John Cage) mais aussi l'électronique grâce aux claviers (notamment des Moog) qui deviendront la marque de fabrique de ce pianiste génial mais déviant.

Vent cosmique

Plus que le fruit d'un illuminé, il semble que l'oeuvre de Sun Ra soit au contraire mûrement réfléchie et conceptualisée autour de ce concept de Liberté absolue. Un absolutisme qui engendre forcément l'excès ou l'apparence de l'excès. De même qu'une vaporisation de l'être en mythe comparable à celui dont il parlait plus haut.

Car Sun Ra est devenu plus qu'une référence obligée, une sorte de divinité dont on se demande parfois si elle a vraiment existé – sa discographie, près de deux cents disques édités à très peu d'exemplaires sur son propre label, Saturn, a longtemps fait l'objet de toutes les gloses.

Quant à son héritage, il touche aussi bien l'univers du jazz (on en jugera sur pièce avec le projet de Thomas Pourquery) qu'à celui de la musique électronique (Unkle), du rock le plus divers et le plus tordu (du MC5 à Spiritualized en passant par Sonic Youth) et bien sûr du P-Funk (George Clinton, autre grande figure customisée de l'afro-futurisme cosmique).

Mais aussi et surtout son propre Arkestra, toujours là, ou en partie, à l'image de l'increvable saxophoniste Marshall Allen, 90 ans, qui prouve par cet engagement posthume qu'intégrer l'équipage de Sun Ra c'était un peu comme emménager dans l'Enterprise de Star Trek : il était réellement demandé à chaque musicien de laisser en plan sa vie personnelle pour la mettre au service de la (psy)cause.

C'est ainsi que le Sun Ra Arkestra, cet équipage aux allures de secte illuminée par l'éclat de son gourou-Dieu, poursuit, comme porté par un vent cosmique, ce voyage aux confins de la libération musicale entamé par Sun Ra et probablement jamais achevé. Comme se doivent de l'être les vraies quêtes spirituelles.

Thomas Pourquery Supersonic plays Sun Ra + The Sun Ra Centennial Arkestra
Au Centre culturel Charlie Chaplin samedi 21 mars

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