Elvis Perkins, mi-gitan mi-Dylan

Elvis Perkins + Riegler girl & the RG's

Transbordeur

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Après une éclipse dylanienne de six ans, c'est un Elvis Perkins particulièrement habité tout autant que serein qui livre avec "I Aubade" son troisième auto-portrait du jeune homme torturé en artiste radieux. Rappel des faits avant son live au Transbordeur. Stéphane Duchêne

Cheveux longs façon Christ des gitans, chapeau à larges bords, barbe à la pousse contrariée, veste ou chemise d'étoffe native american, l'Elvis Perkins nouveau – dont on aperçoit la silhouette sur la pochette cryptique de son récent I Aubade – n'est pas sans faire penser au(x) Bob Dylan du comeback spectral (de John Wesley Harding au personnage d'Alias chez Peckinpah, en passant par Nashville Skyline, New Morning et Another Self Portrait, précieuse réédition de ces années).

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Celui d'après l'accident de moto de Woodstock qui nourrit tant de rumeurs fantasques et vit le Zim' disparaître dans la nature, au sens propre, pour réapparaître quelques années plus tard encore plus dépenaillé qu'à l'origine et comme délivré d'un poids, comme transfiguré, comme, pour ainsi dire, quelqu'un d'autre. Et complètement ailleurs.

Si l'on dit cela d'Elvis Perkins, c'est aussi parce que l'Américain a disparu de nos radars pendant près de six ans – soit après son deuxième album Elvis Perkins in Dearland (2009), successeur du tragique Ash Wednesday (2007). Ce rythme d'un album tous les deux ans, Elvis n'est pas parvenu à le tenir, peut-être parce qu'il ne s'est à aucun moment senti en demeure de le tenir – entre Jean-Louis Murat (un album par an voire par semestre) et Laurent Voulzy (un album par comète de Haley), il y a en effet un juste milieu.

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Pôle magnétique

Elvis, pourtant alors aux portes d'une reconnaissance importante, a pris son temps, pris la plume, pris sur lui, exploré une solitude à laquelle il n'avait sans doute pas eu accès avant. Sur Ash Wednesday, il avait travaillé en étroite collaboration avec Ethan Gold et, surtout, le disque était peuplé de fantômes aux chaînes particulièrement assourdissantes qu'il fallait invoquer pour mieux les apaiser : celui de son père, l'acteur Anthony "Norman Bates" Perkins, mort du SIDA quand il avait 16 ans et Benny Berenson, sa mère (sœur de Marisa), au destin crashé dans la première tour du World Trade Center, un certain 11 septembre, neuf ans presque jour pour jour après le décès de son mari.

Puis sur Elvis Perkins In Dearland, album lumineux du type qui a retrouvé l'interrupteur mais en réalité projet de groupe. Et donc, pour se retrouver, après avoir déménagé autour de New York, Perkins a carrément pris la route d'est en ouest, comme on le fait lorsqu'on est américain et qu'on doit avancer. Comme si là-bas, le pôle magnétique indiquait invariablement la Californie.

Au passage, Elvis, semble être allé «voir le gypsy», comme Dylan, encore, le chante (Went to see the Gypsy sur New Morning) : «Go on back to see the gypsy / He can move you from the rear / Drive you from your fear / Bring you through the mirror» («Retourne voir le gitan / Il peut te faire avancer / Te débarrasser de ta peur / Te faire passer de l'autre côté du miroir»). Ce voyage chez le gitan imaginaire, ou intérieur, qui lui a permis de traverser le miroir, Perkins l'a fait en enregistrant son disque sur la route puis dans une caravane en Californie, où son amie Cornelia Livingston, qui chante sur quelques titres, tournait un film.

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La flamme de l'Amour

Cela a donné un album nomade, comprendre nomade de lui-même car libre de toute contrainte, qui déambule à l'intérieur de son cadre, d'histoires d'amour en récits ironiques et quasi divinatoires de transplantation de cœur de cochon sur un homme (Hogus Pogus, suite à laquelle il apprendra qu'un de ses amis vient de se faire greffer une aorte de vache) ou de mère portée sur la bouteille (Gasolina). Autant de chansons, comme encore & Eveline ou The Passage of The Black Gene, auxquelles il a terriblement compliqué la vie – sans doute une déformation personnelle, à force de se compliquer la sienne – au moment de les enregistrer, les ensevelissant sous les sons d'ambiance (ondes radios, oscillations surnaturelles, sons de la nature, flûtes chelous, chœurs fantômes), puis les élaguant, les nettoyant, avec suffisamment de délicatesse et de psychédélisme artisanal pour que ce qui reste de leur substance nous les rendent accessibles dans leur plus simple appareil, qui est aussi celui de Perkins.

Car si I Aubade évoque aussi bien Bob Dylan (folk pastoral de fils prodigue, country bastringue), le fantôme d'un Lennon lo-fi (All Today, Wheel in the Morning) que Piers Faccini (dont il attrape parfois le timbre latin) ou Caetano Veloso (et donc un peu par extension Rodrigo Amarante) pour l'atmosphère veloutée de mondialisme musical, Perkins semble pour la première fois et pour toutes les raisons précitées être à ce point devenu lui-même – ou une facette de lui-même – que cela en a même, Dylan a connu la chose, désarçonné ses fans hardcore (même si l'on doute que ce terme s'accorde parfaitement avec un chanteur aussi insaisissable que Perkins, au mieux peut-on en être un fan softcore, ce qui est déjà énorme).

Sur I Came for Fire, magnifique incantation, crépitant comme la cuisson improvisée d'un vieux poste de radio dans un feu de camp, Elvis Perkins chante «I came for fire and I stayed for love.» C'est la même chose ici, on vient pour la douce chaleur du feu, sa lumière faible et vacillante, et on reste pour l'amour que petit à petit il attise. Comme ensorcelé par le pouvoir du gitan qu'on est soi-même venu voir.

Elvis Perkins [+ Riegler Girl & the RG's]
Au Club Transbo mercredi 3 juin

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