Eels au Radiant : docteur Everett & Mister E

Eels

Radiant-Bellevue

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Pop / Rare en terre lyonnaise où il vint dès 1997 présenter un "Beautiful Freak" qui donna le ton d'une carrière de presque 25 ans toute en contre-pieds et montagnes russes, Mark Oliver Everett – E pour un peu plus que les intimes et Eels dans les bacs à disques – vient faire étalage au Radiant de la belle diversité d'un art de la pop song richement paradoxal.

Il y a assurément deux Mark Oliver Everett alias E, démiurge du groupe Eels. Pour ainsi dire, il y en a même une multitude dont les trajectoires parallèles cultivent l'impossible singularité de finir toujours par se croiser : il y a le thanatophobe dont les membres de la famille tombent comme des mouches et l'amoureux de la vie – qui commence à se sentir véritablement vivant le jour où un avion se crashe pour ainsi dire à ses pieds dans le lotissement de son enfance ; le génie gracieux et le laborantin laborieux ; le poète naturaliste et le freak mi-burtonien, mi-cohenien, à la fois loser et magnifique, si bizarrement laid qu'il en devient étrangement beau ; l'asocial notoire et le grand sensible ; le cérébral et le rêveur frappant timidement aux portes de la folie ; le cœur d'artichaut et l'éternel largué, aimant à filles un peu dérangées – ses amis finissent par baptiser "E girl" toute jeune femme un tant soit peu déséquilibrée ; le fils qui, longtemps, peine à percevoir son père autrement que « comme un meuble » – il confiera l'avoir touché pour la première fois de sa vie à l'âge de 18 ans, le jour où il le trouve gisant sur son lit, mort d'une crise cardiaque – et l'enfant persuadé que les objets inanimés ont bel et bien une âme, prenant soin de ne jamais claquer la porte d'un placard de peur de lui faire mal (!). Dr Everett et Mister E, donc.

Requiem pop

Si dans cet entrelacs de paradoxes Mark Oliver Everett se faufile comme une anguille ("eel"), non sans difficulté mais avec l'habitude de celui dont le destin est une suite de déviations, c'est peut-être parce que le précité paternel n'est autre que Hugh Everett, éminent physicien, inventeur de l'un des plus grands paradoxes physiques qui soient, sur lequel s'est bâti tout un pan de la physique quantique : la théorie des univers multiples. Un homme peu doué pour l'affection duquel E n'apprendra qu'une chose, pourtant essentielle : la nécessité de pouvoir se dire à tout moment que si l'on meurt dans l'instant (ce qu'il ne manqua pas de faire, on l'a vu), ce sera dans la satisfaction de ce que l'on a accompli et vécu ici-bas.

Ainsi faut-il lire l'obstination d'E à toucher son rêve – être musicien – en séparant tout à fait une ambition certaine du moindre début de compromission. Ainsi faut-il lire aussi la succession d'albums qui se répondent quasiment en se contredisant, donnant le tournis au public d'E et plus encore à ses maisons de disque. Chaque fois, son label voudrait que le nouveau disque ressemblât au précédent qu'elle avait pourtant hésité à publier parce qu'il n'était lui-même pas dans le ton de son prédécesseur. Et ainsi de suite.

La discographie d'E/Eels est ainsi une succession d'albums au long cours mûris et patinés des années durant dans le cerveau de leur créateur (Blinking Lights and Other Considerations en 2005, The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett en 2014) et d'éruptions spontanées (Souljacker en 2001, inspiré par un célèbre tueur en série, écrit et enregistré en un éclair), d'expérimentations avant-gardistes téléscopant malgré tout l'époque (Beautiful Freak en 1996), de chef d’œuvres pastoraux (Daisies of the Galaxy en 2000) et de requiems pop (à la mort de sa sœur Liz, sa première fan, dépressive, junkie et suicidaire, la veille de la sortie de Beautiful Freak, il lui consacrera, alors que sa mère se bat contre un cancer, le splendide Electro-Shock Blues (1998), vibrant album de deuil et, en creux, hymne à la vie).

Tais-toi ou meurs !

Des disques, chantés d'une voix comme brisée et délavée par la grêle existentielle, nourris en alternance de douceur passive-agressive et de rage prognathe, de sucreries bondissantes et de comptines à dormir debout, de mélodies sophistiquées et de collages expérimentaux, d'évidence immédiate et de bizarrerie taquine. Au fond, quoi qu'il en soit, des œuvres qui toujours adossent une prodigieuse pulsion de vie à une inextinguible mélancolie, usines à larmes au pouvoir étrangement rassérénant dont l'habillage musical se positionne bien souvent à rebours du message, brouillant les pistes qui se voudraient trop limpides.

Et si le dernier disque en date d'Eels – peut-être pas son meilleur en dépit du tube Today is the Day – s'intitule The Deconstruction (2018) c'est peut-être parce que Mark Oliver/E/Eels n'a cessé de construire dans la déconstruction, pour ne pas dire la destruction, le piétinement permanent de ses propres plates-bandes, des fois qu'y poussent des lauriers sur lesquels la tentation de se reposer serait trop grande. Car se reposer c'est mourir un peu. Or E a trop souvent vécu dans l'ombre de la mort pour se presser d'y souscrire. Prenant à revers le titre français de sa délicieuse autobiographie Tais-toi ou meurs ! (2011), phrase prononcée par son mutique physicien de père à l'encontre du chat familial en proie à quelque souffreteux râle félin, E a bel et bien choisi, lui, de se faire entendre de la plus belle façon ET de vivre du mieux possible. Aujourd'hui celui qui il y a vingt ans hésitait à jeter sa voiture dans un ravin et s'est longtemps pensé le dernier de sa lignée a même un fils.

Eels
Au Radiant-Bellevue le mardi 10 septembre

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