La perfection est de son monde

Danse / Christian Rizzo présente au Toboggan un solo, composé pour la danseuse Julie Guibert fascinant et quasi parfait sur le plan plastique. Jean-Emmanuel Denave

Plasticien de formation, ancien rockeur, créateur d'une marque de vêtements, cheminant aussi bien dans les salles de spectacle que dans le milieu de la mode, Christian Rizzo est pour le moins un chorégraphe atypique. Chantre des durées étirées, des métamorphoses Ovidiennes, et de la pureté formaliste, il aime à citer cette phrase d'Oscar Wilde : «Donnez-moi un masque et je vous dirai qui je suis». Philosophie qui vaut pour l'artiste comme pour l'ensemble de ses pièces : partant du principe que tout n'est qu'artifice et masque (derrière un masque il y a un autre masque, et ce à l'infini), ses spectacles explorent et inventent des formes nouvelles, closes sur elles-mêmes, relativement indifférentes au réel qui chez lui existe peu, si ce n'est aux confins des masques... En 2004, il crée Ni fleurs, ni Ford Mustang pour le Ballet de l'Opéra de Lyon, rencontre à cette occasion la danseuse virtuose Julie Guibert et décide quelques années plus tard de composer pour elle un solo, B.C., Janvier 1545, Fontainebleau. Explication de texte : en 1545, à Fontainebleau, Benvenutto Cellini doit livrer deux sculptures à François Ier mais n'a le temps d'en réaliser qu'une ; il évite la colère du monarque en mettant en lumière et en mouvement son œuvre esseulée. Un titre programmatique tant la solitude, la sculpture, la fascination visuelle, la lumière et, bien sûr, le mouvement, sont des éléments fondamentaux du solo.Calli-chorégraphieSur une scène blanche telle un écrin immaculé, parsemée de lumignons et émaillée ici et là de «choses» noires suspendues et vaguement organiques, Julie Guibert glisse d'une table où elle était couchée, se dresse sur de hauts talons acérés, marche dans la pénombre et commence à exécuter des mouvements lents, brefs, hiératiques, dans une sorte de contre-jour propice au théâtre d'ombres. Elle dessine, magnétique, une calli-chorégraphie étrange, faite de courbes, de lignes tendues, de signes des doigts et des mains, de gestes fluides ou tranchants comme la lame de ses talons. Un homme au masque de lapin (tout droit venu d'INLAND EMPIRE de Lynch) officie alentour en maître de cérémonie discret, déplaçant les lumignons. Au sol, assise ou debout, la danseuse poursuit ses hiéroglyphes intraduisibles, se love sur elle-même, trouve des équilibres baroques et superbes, des angles improbables, sculpte l'espace avec son corps scalpel, l'immobilise ou le vrille, l'arrondit ou le raidit. Après un quart d'heure de silence, la bande-son de Gérôme Nox ajoute ses pulsations répétitives, ses tourbillons venteux ou ses climats lourds et inquiétants, aux jeux de lumière de Caty Olive tout en variations continues et halos vibratiles. Rizzo atteint ici avec ses complices une sorte de perfection formelle, et propose un trip hypnotique sans faille. Une heure de spectacle rare donc, mais qui, a posteriori, pose question : que refoule cette puissance plastique hallucinante ? Prône-t-elle un retour à l'art pour l'art, ne risque-t-elle d'étouffer la «vie» (impure, informe, balbutiante) sous la vacuité de ses formes sidérantes ? B.C., Janvier 1545, Fontainebleau de Christian Rizzo, les 14 et 15 décembre au Toboggan à Décines.

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