Visa pour un rêve

Portrait / Omar Porras, metteur en scène suisso-colombien, se décrit comme un «géographe de rêves, un cartographe de cauchemars». Sa pièce Maître Puntila et son valet Matti, de Bertolt Brecht, est à l’affiche du Théâtre de la Croix Rousse du 4 au 13 mars et à la Maison de la danse du 14 au 18 mai. À ne pas manquer. Nicolás Rodríguez Galvis

Omar Porras arrive à Paris en 1984 à l’âge de vingt ans. À l’époque (et depuis longtemps), l’art en Colombie, son pays natal, est selon lui «noyé dans l’élitisme», et la culture «accessible uniquement à une certaine ‘caste’». «Heureusement, dit-il, je n’appartenais pas à cette ‘caste’ et j’ai décidé d’émigrer avec mes rêves». Pas facile de construire ses rêves dans un pays qu’on ne connaît pas. Omar Porras commence par assurer sa survie en étant marionnettiste dans le métro de Paris et devient en même temps un maître absolu de la fugue lorsqu’il faut échapper aux contrôleurs de la RATP… Pendant ces années-là, en parallèle avec ses performances dans la rue, il perfectionne son savoir-faire théâtral, suit des cours de danse, de chant, de musique et croise la route de Peter Brook et d’Ariane Mnouchkine. En 1990, il fonde sa compagnie, le Teatro Malandro à Genève. Il la décrit comme «un centre de création, de formation et de recherche» où il développe une démarche créative très personnelle fondée sur le mouvement. En d’autres mots, pour lui, la scène serait une page blanche où l’acteur est un pinceau qui écrit des idéogrammes à travers les gestes, à travers de la gestuelle du corps dans l’espace.La théorie ne doit pas cependant être un barrage. Le théâtre de Porras est une explosion de magie, de vie et d’originalité. Ce metteur en scène qui nous a déjà offert d’inoubliables versions des Noces de sang, de Garcia Lorca, du Don Juan, de Tirso de Molina et une magnifique adaptation du Quichotte, de Cervantes, n’hésite pas à créer des univers uniques en mélangeant le théâtre de masques, les marionnettes, la musique et la danse. Ses créations sont à la jonction entre classicisme et modernité, entre cultures académiques et cultures populaires. Avec Maître Puntila et son valet Matti, Omar Porras propose une mise en scène pleine d’humour et d’exubérance. Il nous parle de Brecht et de la position de ce dramaturge essentiel dans la scène théâtrale contemporaine. «En France, dit-il, Brecht est depuis quelques années un peu momifié parce que ses pièces sont de plus en plus vues comme liées strictement à un contexte politico-historique qui ne serait plus le nôtre. Mais il ne faut pas oublier, ajoute-t-il, que Brecht était aussi un passionné de musique et un amateur de cabaret. Cette pièce n’est donc pas qu’idéologique mais, construite sous forme de sketchs, elle est drôle et pertinente. C’est en faisant appel à cela que mon adaptation prétend interroger le public».Mais pour arriver à mettre au point cette «communion» avec le public, le travail de mise en scène est énorme. Les répétitions de Porras ont la réputation d’être parfois monstrueuses. Mais «c’est comme en amour», se défend-il, «tout est valide». Sa démarche est une tentative qui ne cherche pas seulement à apprivoiser l’instant, Porras veut «aller au-delà ». Il n’est donc pas étonnant que pour tenter d’appréhender le feu sacré du théâtre, il travaille avec intensité, avec passion, presque avec rage. Si le travail est bien fait, il en est persuadé, toute la troupe trouvera une énergie qui permettra à l’acte créatif de s’imposer. Sur scène, c’est une évidence : la poésie est omniprésente. C’est ainsi que Omar Porras et le Teatro Malandro essayent de conquérir la magie. C’est ainsi qu’il s’exprime en tant qu’individu, en tant qu’artiste, en tant que Colombien, «sans avoir besoin d’un recours aux armes à feu, à la guerre, à l’orgueil, mais seulement avec la force contondante de la poésie».

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