La tectonique des planches

Interview / Aurélien Bory, metteur en scène, continue d’explorer la géométrie avec Les Sept planches de la ruse (à la Maison de la Danse du 20 au 25 janvier), une pièce inspirée par un célèbre jeu chinois, le Tangram. Propos recueillis par Marion Quillard

Petit Bulletin : Pour Les Sept planches de la ruse, qu’est-ce qui vous a inspiré en premier : le Tangram ou la création en Chine ?
Aurélien Bory : Je suis parti en Chine en repérage, sans idée, l’esprit vierge, dégagé de tout a priori. J’ai rencontré des artistes à Dalian et, de retour en France, j’ai eu l’idée du Tangram (ou «qi qian ban», «les sept planches de la ruse»). C’est une sorte de puzzle, découpé en sept pièces, qui permet de retrouver les lois fondamentales de la géométrie, Pythagore, Thalès et compagnie. J’ai utilisé ce jeu comme décor. À la verticale, ces pièces deviennent des paysages : et là, on se rend compte du fort pouvoir métaphorique de la géométrie. En Chine, on est au cœur d’un monde qui subit de très fortes mutations ; or tout le sujet des Sept planches de la ruse, c’est la transformation, ces sept pièces qui font bouger, évoluer tout le spectacle. Sur scène, on voit un monde en perpétuelle évolution, et ça c’est particulièrement sensible aujourd’hui en Chine. Et en même temps, ça me permettait de continuer ce travail commencé avec la trilogie sur la relation entre l’être humain et la géométrie. Comment ce contexte chinois a-t-il influencé votre manière de travailler ?
Le théâtre est de toute façon un art d’aujourd’hui : les pièces sont créées maintenant pour les gens qui sont là, et on ne peut trouver un autre public que celui d’aujourd’hui — contrairement à la littérature, où on peut espérer qu’un livre soit toujours lu cent ans après. Un spectacle est forcément contextualisé dans une époque et dans un lieu. Donc c’était très important pour moi de créer ce spectacle à Dalian, là où ces interprètes travaillent, dans leur contexte : l’Opéra de Pékin, ce qu’ils y ont appris, ce qu’ils ont envie de faire, leurs références et leurs valeurs. J’étais dans leur contexte, et ils étaient dans le mien, dans mon travail. Je me suis complètement appuyé sur leur savoir-faire. Ce n’est pas un spectacle qui s’inscrit en opposition, même si la forme est totalement inédite et évidemment éloignée de tout ce qu’ils ont pu faire par le passé.Pourquoi avoir travaillé avec des artistes retraités ?
D’abord parce qu’ils sont très beaux ! En Chine, les artistes de 40 à 60 ans ont de très belles présences corporelles, avec un charisme certain. Et ils ont encore une agilité, une force, qui est proprement hallucinante ! Je ne pouvais travailler avec des gens de cet âge-là avec ce talent-là ailleurs dans le monde. Donc je trouvais ça spécifique, «contextuel» justement. Êtes-vous encore un circassien ?
J’ai toujours été dans des formes de théâtre, même si j’y suis venu à travers le cirque. IJK était basé sur le jonglage, Plan B sur l’acrobatie, Plus ou moins l’infini sur le mouvement, la cinétique. Les Sept planche de la ruse, c’est de la tectonique, ce sont des blocs qui se cognent, qui se claquent comme des continents. Donc il y a toujours une référence au cirque, mais ce n’est pas pour autant du cirque. À l’époque, quand j’étais jongleur, je ne savais pas du tout ce qui m’intéressait dans le jonglage. Qu’est-ce que le jonglage pouvait raconter que la littérature ou le cinéma ne pouvait pas ? J’ai alors découvert qu’il suivait parfaitement les lois de la mécanique générale et de la physique ; et la scène est un lieu où ces lois s‘appliquent à 100%. C’est là le lien entre le théâtre et le cirque. Je me sers de la scène comme canevas, comme toile de jeu, et cette scène est ensuite construite rythmiquement comme du théâtre. Évidemment, je n’utilise pas de texte, et pas non plus une dramaturgie classique, linéaire ; c’est un spectacle construit comme un poème. Un mélange qui oscille entre la danse, le cirque et les arts visuels… Quels sont vos projets ?
Je viens de finir Questcequetudeviens ?, un spectacle sur le flamenco. Et le mois prochain, je démarre un autre travail, qui s’appelle Sans objet et qui va être créé avec des robots industriels, sur le langage entre l’homme et ce qui n’est pas homme, mais qui le remplace. La création se fera à Toulouse, en octobre 2009.Ah Toulouse…
Oui, j’y suis arrivé en 1994, par amour… La passion, c'est vraiment le meilleur moteur!

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