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Corps fragiles

Danse / Dans «L'Oubli, toucher du bois», Christian Rizzo épure son univers plastique, mise davantage sur les corps et les mouvements des danseurs, tout en explorant toujours les mêmes questions : la fragilité, la disparition, la finitude. Jean-Emmanuel Denave

Jérôme Bel, Alain Buffard et Christian Rizzo forment un trio emblématique de ces chorégraphes français, nés dans les années 1960, qui ont été fortement marqués par les arts plastiques, par les «performeurs» des années 1970 en particulier (Vito Accounci, Bruce Nauman dont on peut voir actuellement des œuvres au Musée d'art contemporain et beaucoup d'autres). Eux-mêmes ont beaucoup utilisé la forme de la performance, parfois aussi celle de l'installation, préférant fouiller les possibilités du corps et sa présence «brute», plutôt que sa virtuosité et ses mouvements «dansés». Aujourd'hui, Jérôme Bel continue à déconstruire avec humour l'espace scénique et à briser les barrières artistiques, collaborant par exemple avec Anne Teresa de Keersmaeker dans «3Abschied», en s'attelant à la musique de Mahler et à la question de la mort. Buffard, dans sa dernière création ironiquement intitulée «Tout va bien», se dirige de plus en plus vers le texte et le théâtre, avec des pièces toujours déclenchées par ses colères devant l'état du monde. Christian Rizzo tente quant à lui de se détacher de l'image de «chorégraphe plasticien» qui lui colle à la peau, notamment depuis 2009 et sa deuxième création pour le Ballet de l'Opéra de Lyon, «Ni cap ni grand canyon». Précisons d'ailleurs qu'il est le seul des trois à avoir d'abord été plasticien (formé à la Villa Arson à Nice), avant de se lancer brusquement dans la danse, collaborant avec Hervé Robbe, Mark Tompkins ou Rachid Ouramdane... Inspirations
Les pièces antérieures de Rizzo plongeaient le spectateur dans des univers chargés d'accessoires et de costumes étranges où se déroulaient de lents rituels esthétiques. Avec pour thématiques obsédantes : la chute, le vide, la disparition, l'absence. Et une structure dominante : les relations entre les corps, les objets et la lumière. Les thématiques restent aujourd'hui les mêmes, mais le chorégraphe se concentre davantage, pour la construction de ses pièces, sur les corps, l'improvisation dansée, le mouvement. Il se nourrit aussi d'observations au quotidien, captant ces énergies, ces vibrations, ces envies de se porter, de se pousser ou de tomber qui nous traversent tous. Ou se sert encore de sa propre biographie : «Dans mes spectacles je dis toujours «je» à travers d'autres personnes que moi. Mon individualité se fond dans la multiplicité scénique : les corps et les voix des danseurs, mais aussi la musique, les lumières, le décor... Toutes mes pièces sont sous-tendues par une dramaturgie auto-biographique, comme un fil conducteur qui avec le temps devient de plus en plus visible». De fait, «L'Oubli, toucher du bois» s'ouvre sur une séquence de déménagement où les danseurs débarrassent le plateau d'objets utilisés par Rizzo dans d'anciennes pièces : plante verte, sphère noire, casque de moto, tas de vêtements... À la fin, il ne reste plus qu'une sorte d'immense cube de bois vide, avec sur une chaise, un homme âgé qui rembobine un câble. Précarité
Dans cette «boîte», on entend, par intermittences, une voix mélancolique et quelques notes de piano. Les lumières, signées Caty Olive, ne cessent, elles, de varier : obscurité totale, demi-pénombre, clarté. Elles permettent notamment aux gestes et aux corps des danseurs (sept au total) d'être projetés en ombres sur les parois, ombres gigantesques parfois... Ces jeux de clair-obscur et de dédoublements rythment et dessinent une pièce toujours située sur une crête, un entre-deux. Entre présence et absence, apparition et disparition, station verticale et chute, pour ne pas dire entre vie et mort. Les déplacements et les mouvements sont lents, hypnotiques, ouatés, et l'idée d'attention à l'autre y est constamment manifeste : attention par le regard ou attention par le geste qui prolonge le mouvement d'autrui, ralentit une chute, s'essaye à un échange affectueux (enlacements doux, caresse furtive...). Au bord du vide, une amitié des corps se trame, puis se délite, s'efface. Tout comme, au fur et à mesure de la pièce, la torpeur s'intensifie, les couleurs des vêtements disparaissent, la grisaille gagne... On pourra reprocher à Rizzo de jouer un peu trop sur la notion de basculement d'une chose en son contraire, et de s'appesantir parfois sur certains passages. Mais, en dépit de ces petits défauts, l'ensemble de sa pièce subjugue par sa fragilité à fleur de peau, sa beauté un peu désespérée, sa fraternité corporelle baignée de mélancolie. Christian Rizzo, «L'Oubli, toucher du bois»
Au Toboggan (Décines), samedi 4 et dimanche 5 novembre.

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