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Vertiges de l'amour

Danse / Un Jean-Claude Gallotta inspiré donne forme aux mots de Gainsbourg interprétés par Bashung : rien que pour le plaisir intense qu’il procure, L’Homme à tête de chou s’impose déjà comme l’un des spectacles de l’année. François Cau

Impossible de faire abstraction de l’émotion entourant la création. Avec la responsabilité monumentale de devoir faire honneur à l’œuvre posthume d’Alain Bashung, Jean-Claude Gallotta est sous le coup d’une pression que bon nombre d’artistes doivent, cela dit, lui envier. Il s’en serait fallu de très peu pour que ce magnifique cadeau se transforme en héritage empoisonné, on en connaît qui auraient botté en touche, qui auraient opté pour une transposition littérale de la narration sans se poser plus de questions, s’effaçant derrière la puissance d’évocation sidérante de la bande sonore. Au fil des répétitions ayant suivi la disparition de l’icône, Gallotta a dû réviser de fond en comble ses partis pris de départ, pallier l’absence monstrueusement envahissante de son narrateur, ne pas donner à l’ineffable beauté de son enregistrement une tonalité trop sépulcrale. Gommer les aspérités, les facilités, interroger son propre style pour offrir la chorégraphie la plus harmonieuse possible. On savait le directeur du Centre Chorégraphique National de Grenoble en plein questionnement artistique, comme pouvaient en témoigner les détours théoriques de ses dernières créations, leur rapport très perturbé au corps. Sans tergiverser, Jean-Claude Gallotta a choisi de foncer dans le tas, de vider son plateau, d’assumer l’énergie et la sensualité du texte, de se lover dans ses sublimes excroissances rock avec un culot qui lui sied merveilleusement bien et qui, surtout, respecte formidablement la liberté de l’œuvre originale. Volutes en fusion
Prenons une première chose pour acquise : l’appropriation de l’album de Serge Gainsbourg par Alain Bashung est une réussite totale. Miracle de cette prise unique, enregistrée d’un bloc et dont les contours instrumentaux ont été retravaillés en aval, elle sonne comme le zénith artistique du chanteur. Sa voix se fait l’écrin parfait de cette romance barrée, aux images fécondes, à la langue aussi malicieuse que sulfureuse. Sur certains passages, Bashung s’aligne même sur le timbre si particulier de Gainsbourg, sans que l’exercice ne passe pour autant pour de la simple parodie – on atteint dès lors une fusion organique entre les deux personnalités artistiques laissant pour le moins pantois. Au sortir d’une introduction pudique où le spectre de l’absent, figuré par une chaise vide, est évoqué avec délicatesse, Gallotta élabore un premier tableau survolté, où les quatorze danseurs se déploient en jouant avec grâce sur les perspectives. On retrouve un chorégraphe ludique, respectant sa matière sonore sans en être esclave, en pleine possession de la chose dansée. Ce plaisir chorégraphique instantané couplé à la découverte de la fabuleuse bande son est à même de rassurer les plus sceptiques, et de faire se hérisser les poils des plus réceptifs - oui, ce fut notre cas. D’où l’avalanche de superlatifs. Les amants magnifiés
Le reste du spectacle parvient à garder intacte cette vitalité, à empoigner à bras le corps sa poésie pour la transfigurer. Histoire d’amour improbable, vouée à l’exaltation sexuelle et passionnelle en attendant son issue fatalement funeste, L’Homme à tête de chou dévoile ici toute la richesse de son univers en une succession de tableaux ne faisant jamais retomber la tension narrative. Jean-Claude Gallotta œuvre dans le suggestif, puis dans l’incarnation lascive des jeux érotiques des deux amants : le passage illustrant l’orgiaque reprise de Variations sur Marilou nous fait découvrir le chorégraphe sous un nouveau jour, passionné, sensuel, ludique dans sa façon de gérer les interactions entre ses danseurs – sans se renier, bien au contraire, mais en incorporant ses touches personnelles et autres gimmicks à une dynamique plus marquée. Duos et trios se font les reflets naturels de cette liaison forcément déraisonnable dont Bashung nous narre les errements, les moments de grâce. La fluidité de l’ensemble ne laisse aucun moment de répit au spectateur, happé par la cohérence d’un spectacle à voir et à revoir pour en saisir toutes les résonances. On peut aussi, et c’est encore le mieux, se poser dans son siège, laisser l’atmosphère sonore nous étreindre et jouir encore et encore de la saisissante complémentarité des univers artistiques en présence.

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