Sens Interdits 2011 – Jour 1 : Boomerang

Yahia Yaïch Amnesia (Tunisie)

Il y a décidément quelque chose qui sonne juste dans ce festival Sens interdits. Quelques minutes avant de déclarer ouverte cette semaine de festivités, Patrick Penot, son directeur, monte sur scène pour rappeler à quel point il est utile d’être curieux pour devenir plus tolérant, nous souhaitant ensuite bonne promenade (dans cette programmation) et bon voyage.

CARAMBOLAGE

Première escale : la Tunisie qui s’apprête à voter librement dimanche. Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, auteur et metteur en scène de Yahia Yaïch Amnesia présentent leur spectacle deux soirs ; dimanche matin, ils prendront à l’aube un car pour rejoindre l’aéroport de Marseille et filer voter. Enfin ! Pour l’heure, ils nous demandent d’imaginer l’avant Ben Ali, période dans laquelle ils ont composé cet "Amnesia" qui semble étrangement prémonitoire. Un ministre influent vient d’être limogé et le peuple, fou de joie, exprime son bonheur dans la rue. Toute ressemblance avec un fait ayant existé n’est bien sûr que pure coïncidence. Car le spectacle a été créé à Tunis en mai 2010 ! Comme le disait encore Patrick Penot en entame de festival, «le théâtre parfois devance les faits et arrive avant l’Histoire». C’est donc le cas ici. Mais ce n’est pas un récit en temps réel façon journal télévisé de la chute d’un despote qui nous est proposé. L’action se passe en deux minutes qui durent deux heures avec des failles spatio-temporelles qui peuvent amener à croire que ce que l’on voit est une hallucination collective : le rêve d’un peuple ou le cauchemar de cet homme d’Etat.

EN NOIR ET BLANC

D’emblée, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Les comédiens, dans un silence magnifique se mettent doucement en place, s’endorment, se réveillent en sursaut et composent un tableau noir et blanc de grande beauté. Puis se murmure un «joyeux anniversaire», c’est l’heure de la fête avant que ne retentissent des bruits de balles d’une stridence affolante. Les comédiens courent comme des lapins pris dans des phares, sans savoir comment échapper au pire. Mais c’est bien un homme politique influent qui s’est fait pincer. Le règlement de compte va commencer. C’est que la pièce, à l’instar du festival, est infiniment politique. Elle évoque avec précision tout ce que l’on a entendu depuis la chute de Ben Ali le 14 janvier dernier : une presse muselée, des citoyens contrôlés, un pouvoir totalement corrompu et aux mains de «tricheurs» (ce mot qui dans la bouche des Tunisiens, est une insulte suprême). Et ce que l’on voit sur scène se surperpose étonnamment avec ce que le monde a découvert jeudi en mondovision : le corps ensanglanté d’un dirigeant d’Etat qui n’est soudain plus rien. Comment ne pas y voir Kadhafi ? Avec seulement des lignes blanches tracées au sol, façon "Dogville", nous sommes tantôt dans un aéroport, un hôpital ou une espèce de tribunal. Ce minimalisme ne gêne en rien la cohérence d’un propos très aride. On ne dira pas trop aride car c’est son atout que d’être cinglant tout en ayant évité acrobatiquement la censure. En revanche, un supplément de mise en scène et de fluidité via, par exemple, un peu plus de chorégraphie (souvent effleurée mais jamais totalement osée) aurait pu souder encore un peu plus cet ensemble qui, néanmoins, est d’une extraordinaire force par la cohésion du groupe de comédiens. Ils ne font qu’un sur toute la longueur de la pièce.

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