Juliette au pays des merveilles

Époustouflante Jeanne d’Arc dans la version de Delteil (reprise au Théâtre national Populaire de Villeurbanne du 22 au 26 mai), Juliette Rizoud, est, du haut de ses 28 ans, une comédienne déjà expérimentée, notamment auprès de Christian Schiaretti. Rencontre avec une jeune fille au parcours sans faute et à l’appétit de théâtre insatiable. Nadja Pobel

Elle dit avoir eu très jeune un sentiment répulsif au théâtre, «il m’enlevait mes parents et les pots de première étaient interminables». À l’époque, Juliette Rizoud n’a pas cinq ans. Ses parents, comédiens et membres permanents de la Comédie de Saint-Étienne, viennent de s’installer à Toulouse, où Juliette restera jusqu’à ses 18 ans. Mais au collège, à l’issue de la 3e, elle s’avoue à elle-même qu’elle ne peut pas aller contre son désir de théâtre. «Je m’amusais depuis des années déjà à lire des textes à haute voix, à me déguiser». Ce sera donc option "lourde" théâtre dans un lycée de la ville rose pour décrocher un bac littéraire en 2002. Choisir cette voie du théâtre fera plus peur à ses parents qu’à elle-même, dit-elle. «Je savais où je mettais les pieds, je n’étais pas dans le fantasme du star système et j’avais la chance d’être entourée, d’avoir des guides». Elle patiente en dilettante à la fac (avec des cours de danse et de chant à haute dose en parallèle) et attend d’atteindre ses 18 ans pour se présenter aux concours. Elle sait ce qu’elle veut : l’ENSATT, une école qu’elle connait car son père est passé par la rue Blanche (ancien nom de l’école nationale de théâtre alors parisienne avant de s’installer sur les hauteurs du 5e à Lyon).

À l’école de Juliette

Elle tente d'abord la Comédie de Saint-Étienne et l’École de Montpellier mais reste au seuil de la porte. Elle se paye finalement (petit boulot au PMU du coin aidant) l’école préparatoire de la Comédie stéphanoise. Une année de formation avec yoga, chant et théâtre. L’année suivante, en 2004, elle rate le Conservatoire de Paris presque par chance («je ne comprenais pas ce que je faisais là-bas lors du concours, je ne me sentais pas à ma place, il y avait trop de parade») et l’ENSATT s’ouvre à elle. C’est le début d’une belle aventure avec cinq autres filles et six garçons dont elle est toujours très proche. «Sans que cela soit fusionnel, il y avait une très forte solidarité». Elle y travaille avec Jerzy Klesyk, professeur de l’école russe : «pendant six mois, nous n’avons dit aucun mot dans ses cours, tout devait passer par le corps». Cette discipline intense, plutôt que de l’effrayer, la réjouit. Ancienne pratiquante de GRS, elle dit avoir besoin d’être cadrée pour éviter de s’éparpiller. Pour le travail sur la langue et les mots, c’est Christian Schiaretti, directeur du Théâtre national Populaire de Villeurbanne (TNP), qui intervient. Ils travaillent notamment sur Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, une matière parfaite pour ces apprentis comédiens qui se mettent en bouche de délicieux alexandrins. Jouée à l’ENSATT puis au TNP, cette pièce lui permet de glisser d’un lieu à l’autre avec une souplesse et une facilité dont Juliette Rizoud ne revient toujours pas.

Née au TNP

Depuis 2007 et sa sortie d’école, la voici donc permanente de la troupe de l’historique TNP pour une sorte de «formation continue». Elle plonge dans le grand bain des professionnels avec Par-dessus-bord, l’épatante version intégrale et donc fleuve (6 heures) de la pièce de Vinaver mise en scène par Schiaretti. Juliette y revêt ses habits de danseuse auprès de Guesh Patti, «c’était complètement fou, dit-elle encore aujourd’hui avec bonheur. Tous les matins, je répétais avec elle, elle prenait le temps de me raconter sa vie, ses expériences avec une grande générosité comme encore très récemment Isabelle Sadoyan».

La troupe rodée du TNP permet à Christian Schiaretti de travailler vite et d’enchaîner les spectacles. Juliette Rizoud est dans l’aventure de deux des sept comédies de Molière (Le Dépit amoureux et L’Étourdi), une du siècle d’Or espagnol (Don Quichotte), de la première partie du Graal, dans Ruy Blas (elle est la reine) et La Fable du fils substitué mis en scène par Nada Strancar. Et surtout, en 2010, elle est la Jeanne. Celle de Delteil, adaptée par Jean-Pierre Jourdain que Schiaretti remonte au TNP après une création à Reims avec Camille Grandville en 1995. Pas de décor, juste quelques éléments de plateau (poulie, manivelle…) et une comédienne qui se donne corps et âme à cette héroïne sans limite. Juliette Rizoud s’impose un training physique de presque une heure avant chaque représentation (relaxation, étirements, vocalises, musculation…) et se prépare à déjouer les réponses parfois déconcertantes des spectateurs à qui elle demande «que s’est-il passé le 17 juillet 1429 ?» - «Les Vacances», lui répond-on une fois à la place du couronnement du roi de France. Entre stand up et rigueur ascète, ce spectacle est pour elle «un summum du spectacle vivant» et une cure de jouvence pour le spectateur. Tout en étant consciente qu’il faut aussi parfois se détacher du théâtre car «ce n’est pas tout dans une vie», elle garde cet appétit de jeu et de scène, ce plaisir de la bonne adrénaline avant que le rideau ne se lève.

La Jeanne de Delteil
Au Théâtre national Populaire (Villeurbanne)
Du mardi 22 au samedi 26 mai

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