Tribune libre

Idée saugrenue mais intrigante, la rencontre en 1987 entre Marguerite Duras et Michel Platini avait donné lieu à une interview parue dans "Libération". C’est désormais une pièce de théâtre dont l’excès de formalisme ne gâche pas le plaisir de parler intelligemment de foot sur une scène. Nadja Pobel

Pensait-elle qu’elle serait un des personnages de théâtre récurrents des pièces contemporaines (Marguerite et François par Gilles Pastor, La Musica deuxième par les Nöjd…), elle qui obtint le Goncourt avec L’Amant l’année même où elle interviewa Michel Platini ? Marguerite Duras, éternellement engoncée dans son col roulé blanc, forcément moins caricaturale qu’elle se caricaturait elle-même, est plus vraie que nature sous les traits d’Anne de Boissy (vue et revue dans l'inaltérable Lambeaux). Elle fait face à un héros du sport français pour une improbable rencontre avec ce jeune loup de 32 ans, maillot de la Juve sur le dos, qui vit sa "ménopause" d’athlète selon les mots du chroniqueur cycliste Antoine Blondin pour nommer la retraite sportive.

Plus difficilement incarné par Stéphane Naigeon (dont l’âge est trop en décalage avec celui de son personnage), Platini n’en est pas moins impressionnant dans sa vision du jeu, simple et juste ; il a cette fausse naïveté qui cache à peine un véritable point de vue – clairvoyant - sur un sport qu’il défend aujourd’hui encore avec acharnement à la tête des instances européennes. Le jeu prône sur tout le reste peut-être parce que, comme il l’affirme au cours de cet entretien, il a rêvé du football et pas d’être footballeur et qu’il était heureux d’un 0-0, synonyme d’un match parfait, sans erreur.

Dans la foule

Son jouet d’enfant se fracasse contre les grilles du Heysel en 85. Quand il inscrit le but de la victoire, il ne sait rien du drame qui vient de survenir mais Platini dit devenir un homme. Ce drame le marque au fer rouge car, pour ce gosse né dans les bassins sidérurgiques lorrains, ce jeu n’est au fond qu’un loisir de prolo, à mille lieux des liesses qu'il génère. Il constate avec joie que son sport se joue partout, jusque dans les favelas brésiliennes mais pas dans les pays riches (au Japon ou aux États-Unis), Duras le contrant avec sidération en affirmant son aura mondiale («Mes romans sont traduits dans trente pays !»).

Au plateau, dans une scénographie évocatrice et habile, il y a bien quelques dribles et passes entre les deux icônes mais cela encombre presque le propos. Le dialogue se suffit à lui-même et reste alors le bonheur de constater que le sport et le théâtre se sont réconciliés le temps d’une création en s’éloignant de leur carcans respectifs. 

Duras-Platini
Au NTH8 jusqu’au 28 octobre

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