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Sandrine Bonnaire : «Ce métier est une offrande»
Par Nadja Pobel
Publié Mardi 28 avril 2015 - 8444 lectures
L'Odeur des planches
Théâtre de Villefranche
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Renouant avec le théâtre, Sandrine Bonnaire dit avec simplicité l'histoire d'une comédienne déchue et réduite à faire des ménages via le texte autobiographique de Samira Sedira, "L'Odeur des planches". Dialogue avec la plus radieuse des actrices françaises, née sous le haut-patronage de l'immense Maurice Pialat. Nadja Pobel
En 1989, vous jouiez pour la première fois au théâtre dans La Bonne âme du Se-Tchouan sous la direction de Bernard Sobel. Vous vous êtes ensuite absentée jusqu’à L’Odeur des planches. Qu’est-ce qui vous a menée au théâtre, vous en a éloignée puis vous y a ramenée ?
Sandrine Bonnaire : J’ai effectivement arrêté le théâtre durant plusieurs années pour diverses raisons, notamment parce que j’ai eu un enfant et que j’avais peu envie de sortir chez moi le soir. Le désir n’était plus là, mais il est revenu il y a deux ans. En fait, j'avais sollicité Jean-Michel Ribes pour le projet du Miroir de Jade [pièce chorégraphiée créée dans la foulée de L'Odeur des planches, NdlR], pour lui demander s’il pouvait financer ce spectacle, et il m’a présenté Richard Brunel qui m’a proposé de faire cette lecture.
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On a fait trois jours de lecture à Valence et on avait envie de le reprendre avec le texte appris. On s’est rendu compte que ce texte devait être interprété, qu’une simple lecture ne convenait pas car on ne peut pas vraiment rester en retrait de ce récit.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce texte peu anodin sur une comédienne qui n’a pas réussi à percer dans son domaine ?
J’aime le texte car il est percutant, à la fois simple et viscéral. Il n’y a rien d’intellectuel, même si c’est très écrit, très pensé et bien réfléchi. Il raconte des choses de la vie comme l’immigration des parents, que ce soit le milieu social dans lequel ils sont, un pays quitté, une France qui a promis plein de choses. Il dit aussi comment on passe de la lumière à l’ombre sous prétexte qu’on a une autre fonction [la comédienne devient femme de ménage, NdlR]. Ça parle beaucoup du regard qu’on porte sur l’autre.
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Vous avez un autre point commun avec votre narratrice : vous venez aussi d’un milieu modeste très éloigné du théâtre et du cinéma. Est-ce que vous ressentez encore le fait de venir d’un milieu de prolos ?
Oui, bien sûr, d’autant plus que je n’ai jamais coupé les ponts avec ma famille. C’est quelque chose qui reste présent en moi et j'y tiens car ça permet de rester dans la réalité des choses, que ce métier peut vite vous faire perdre. Mais si on n’a pas envie de la perdre, on ne la perd pas. C’est aussi bête que ça. Pour moi c’est un vrai cadeau d’avoir rencontré Pialat, d’avoir eu cette vie et d’être encore là aujourd’hui avec cette vie. C’est un vrai luxe.
C'est un métier qui, quand il fonctionne, apporte la reconnaissance, le moyen de s’exprimer, d’être dans la lumière, de jouer des personnages variés, d’apprendre, de dire, de se cultiver à travers un rôle. C’est formidable et très thérapeutique à mon sens.
Comment définiriez-vous ce que Maurice Pialat vous a légué ?
Il m’a donné une renaissance. J’ai le sentiment d’être née deux fois. Il y a la naissance du père et cette renaissance venue de lui, qui m’a guidée. J’ai commencé ce métier très tôt et ma vie s’est totalement transformée avec cette rencontre.
Vous avez longtemps joué des rôles de femme forte et singulière (Sous le soleil de Satan, Sans toit ni loi). Désormais vos personnages sont inscrits dans un quotidien plus simple...
Dans n’importe quelle forme d’art, il est intéressant de faire s'agrandir un quotidien. Pialat disait que je ne serai jamais capable de jouer une petite bonne femme. Mais dans L’Odeur des planches, le personnage est réduit à une petite bonne femme et elle se questionne tout le temps. Il y a de la lutte et de la rage en elle, elle transcende son quotidien. Il y a aussi une forme de quotidien chez Auguste Renoir, par exemple, sublimé par la couleur, l’épaisseur de la peinture, les regards des personnages. On peut tout dire et on a déjà tout dit, mais il reste plein de formes.
Pialat était un cinéaste du naturalisme. On ne voyait pas les coutures de ses films. Au théâtre, c’est précisément le contraire, on voit tous les à-côtés et tout repose sur vos épaules...
Oui, au théâtre, on magnifie un peu les choses, on est obligé de créer une image sur un plateau. Et c'est vrai que je suis complètement seule. Je ne peux me raccrocher à rien. Si j’ai un trou de mémoire, il faut que j’avance quand même. C’est un vrai défi, avec l'angoisse de me dire avant d'entrer en scène «je n’y arriverai jamais». La magie fait qu’on arrive à se jeter dans la fosse où on retrouve ses repères. Ce qui est beau dans ce métier, c’est que c’est une offrande. On ne le fait pas pour soi-même si on prend plaisir à le faire. On le fait pour partager et, puisque c'est un cadeau, on s’applique.
Dans cette pièce, les parents de la narratrice ne comprennent pas son métier et lui disent après être venus la voir jouer : «heureusement qu'on n’a pas payé pour ça !». Ce passage fait-il aussi écho à votre histoire ?
Oui, mais le père n'est pas débile sous prétexte qu'il s'ennuie. Simplement, il n'accroche pas car la pièce est chiante, le metteur en scène n’est pas vraiment présent, les acteurs ne comprennent pas ce qu’ils jouent. Ça peut m’arriver de m’ennuyer profondément, je ne le manifesterai pas comme le père car j’ai des codes que lui n'a pas. Ce sont deux milieux qui se confrontent. Lui parle comme à la maison. Mais si on mettait le metteur en scène dans cette famille-là, il ne comprendrait pas mieux.
Plus que du métier de comédien, la pièce parle du manque de jouer, d'avoir plusieurs vies, la narratrice ne parle jamais d’elle comme comédienne, de comment elle interprète les choses. Souvent on me dit : «vous ne trouvez pas que vous faites un métier difficile qui fragilise ?». Je trouve, au contraire, que c'est un métier qui, quand il fonctionne, apporte la reconnaissance, le moyen de s’exprimer, d’être dans la lumière, de jouer des personnages variés, d’apprendre, de dire, de se cultiver à travers un rôle. C’est formidable et très thérapeutique à mon sens.
Avez-vous d’autres projets sur les planches ?
Pour l’instant je n’ai pas de projet de théâtre, mais je vais revenir au cinéma et tourner un film de Gaël Morel en octobre, Le Retour du printemps. Et puis avant ça, je vais retourner à l’écriture d'un synopsis en vue de la réalisation de mon deuxième long-métrage qui traitera de l’identité.
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