Anne Alvaro, valeur sûre et discrète

Femme non rééducable

Le Toboggan

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Anne Alvaro sera à l’affiche du Toboggan pour une unique représentation de "Femme non rééducable". Bien trop court pour la salle décinoise, qui a souhaité prolonger sa présence en lui accordant une carte blanche. Belle occasion de faire plus ample connaissance avec une comédienne aussi discrète qu’essentielle…

Lors de la sortie du Goût des autres (2000) d’Agnès Jaoui, nombreuses avaient été les interrogations portant sur "l’inconnue" partageant l’affiche et la vedette avec Jean-Pierre Bacri, Gérard Lanvin ou Alain Chabat. D’où venait-elle, cette actrice brune incarnant une comédienne de théâtre subjuguant un chef d’entreprise et parvenant à éveiller l’être sensible tapi en lui ? Son personnage droit et sincère, d’autant plus beau qu’il se démarquait d’un cortège d’hypocrites et de profiteurs, toucha unanimement : ses pairs décernèrent à Anne Alvaro le César du meilleur second rôle féminin et le grand public l’accueillit volontiers parmi "ses" visages familiers. Pour atteindre la reconnaissance, il suffit donc d’un rôle… et, surtout, de trente ans de métier !

Liberté chérie

Au cinéma, la caméra cherche volontiers à saisir par le gros plan une mélancolie inquiète dans son regard, ou à profiter de son beau timbre grave ; et les rôles qu’on lui confie sont de plus en plus retenus, voire un peu battus — comme dans Le Bruit des glaçons (2010) de Blier, qui lui vaut un nouveau César. Au théâtre en revanche, «Anne déploie l’immensité de son savoir-faire explique le metteur en scène Roland Auzet, qui l’a dirigée par deux fois (La Nuit les brutes de Fabrice Melquiot et un superbe Dans la solitude des champs de coton de Koltès, joué dans l’enceinte du centre commercial de la Part-Dieu au printemps dernier). Elle est une grande dame et un instrument très singulier.»

Appartenant à cette génération pour qui l’engagement n’est pas un vain mot, et le théâtre autant une mission sacrée qu’un accomplissement intime, Anne a arpenté les plateaux dès l’enfance. Le conservatoire de Créteil l’a initiée à la scène et, à l’orée des années soixante-dix, c’est sous la houlette de Bob Wilson qu’elle a débuté dans Le Regard du sourd. Depuis, elle n’a jamais quitté les planches, où ses choix se révèlent aussi éclectiques que tranchés. Autant que sa nécessité de n’avoir aucune entrave. «Anne est quelqu’un de très humble, cherchant à faire avec le théâtre quelque chose de plus grand qu’elle note Roland Auzet. Elle a besoin d’un souffle de liberté. C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas hésité à refuser la Comédie-Française, afin de pouvoir continuer à cheminer dans ses découvertes.»

«Elle veut décider des allures et des contenus qu’elle souhaite aborder abonde Philippe Morier-Genoud, qui fut souvent son partenaire sur scène. C’est là que se trouve non seulement sa liberté mais aussi sa conscience critique.» Celui-ci se souvient de l’arrivée d’Anne Alvaro, dans le collectif de Georges Lavaudant, au mitan des années 1990 : «Pour préparer le spectacle Lumières (I) et (II) de Bailly, Deutsch et Duroure, nous devions inventer des canevas, des "impros" si vous voulez. C’était des exercices très stimulants qui permettaient d'ajuster la pièce ; cela nous a valu de danser ensemble, sur une suite de Bach, chorégraphiée par Jean-Claude Gallotta, en plein milieu d’un champ de tourbe

Valeureuse

Ce travail de recherche et d’expérimentation, Anne Alvaro l’apprécie, sous certaines conditions : «Si le metteur en scène ne parvient pas à lui faire partager sa “vision” précise Roland Auzet, elle peut quitter le navire. Elle n’a pas froid aux yeux !» Mais lorsque la rencontre s’effectue, c’est une alchimie qui opère et bouleverse le plateau. Philippe Morier-Genoud demeure un fervent spectateur des prestations de sa camarade : «Anne a cette qualité d’actrice d’apparaître à la fois comme extrêmement maîtresse d’elle-même et souverainement juste : une façon toute personnelle de poser le regard sur ses personnages et de les faire avancer dans la direction de la vie "ordinaire" mais en même temps "aigüe" du drame. Dans "sa" Judith de Howard Barker, mise en scène par Chantal De La Coste en 2013, elle ne m'a pas seulement enthousiasmé, mais transporté à un niveau de satisfaction comme seul le théâtre nous en donne la possibilité : vous vous retrouvez soudain projetés dans le récit avec une intensité et une conviction qui vous rendent, c'est rare, les contemporains du drame.»

La pièce de Stefano Massini Femme non rééducable, «mémorandum théâtral sur la journaliste russe Anna Politkovskaïa» qu’elle joue au Toboggan sous la direction d’Arnaud Meunier (le patron de la Comédie de Saint-Étienne), s’inscrit tout naturellement dans son parcours. Mêlant musique, engagement et conscience du temps présent, c’est l’un des quatre (!) spectacles auxquels cette stakhanoviste a pris part durant la saison 2014-2015. Et l’on ne parle pas des manifestations qu’elle aime soutenir, comme le Festival de la revue littéraire lancé à Lyon en juin dernier par la revue Livraisons, ni de sa participation, il y a quelques années, à la lecture de l’intégrale du Don Quichotte de Cervantès au festival Le Banquet du livre à Lagrasse…

Son Molière en 2009 pour Gertrude (le Cri) d’Howard Barker n’a évidemment rien changé à sa ligne de conduite «Elle est éminemment Anna Politkovskaïa dans la vie !» sourit Roland Auzet, qui admire en elle l’obstination, et une passion sans démesure grandiloquente. «Ce sont des actrices comme elles qui donnent aux récits leur force et nous chargent positivement en valeur, s’enflamme Philippe Morier-Genoud, avant de conclure : Anne est, tout simplement, une valeur.»

Carte blanche à Anne Alvaro
Au Toboggan, Décines, du mercredi 25 au dimanche 29 novembre

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