Benoît Turjman, entre les mots

Le Voisin 2 : il revient !

Au Rikiki

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / « Lorsqu'on vient d'entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui » disait Sacha Guitry. Benoît Turjman, lui, est de ceux qui manient l'art de faire parler le silence. Militant du mime, artiste hors du commun : on vous dit tout sur votre Voisin préféré.

Alors même qu’il n’est pas encore sur scène, ses gestes semblent déjà très répétés, presque comme une chorégraphie. Sa préparation est méticuleuse, méthodique, précise. Il sort un à un, de sa valise très ordonnée, ses accessoires du soir. De l’autre côté le public s’installe progressivement. Très vite, Benoît se transforme en Le Voisin. D’abord le costume, puis le maquillage et la coiffure. La métamorphose s’opère ! À cet instant précis, le voilà plongé dans un silence qui l’habitera tout au long de sa représentation.

Qu’il soit à Gerson, scène qu’il affectionne autant qu’elle l’impressionne, ou sur celle du Point Nommé, bar de quartier du côté de Perrache, sur laquelle il se sent plus libre, c’est une même appréhension qui l’anime. Ses prestations seront différentes. L’une sera disciplinée, et durera plus d’une heure. L’autre plus spontanée, ne se prolongera que quelques minutes en conclusion d’une soirée des Gones du Rire aux côtés d’une dizaine d’autres stand-uppers. L’effet sur le public sera le même. Le Voisin a ce don de vous plonger dans son monde. Ses mésaventures, ses maladresses. Vous partagez ses joies, sa poésie et ses pleurs. La grâce du danseur, la fable poétique et parfois même la gestuelle du clown : tout est là pour permettre l‘appréciation de l’épopée d’un anti-héros auquel on s’attache très volontiers.

Passion du mime

Sa rencontre avec le théâtre se fait au moment de ses études supérieures. À vingt ans, Benoît est à Sciences Po Lyon et rejoint une compagnie. C’est grâce à elle qu’il ira jusqu’à fouler pour la première fois les planches, lors d’un tremplin. Un peu par hasard, il se retrouve inscrit prématurément au Festival d’Humour de Lyon : il recevra un prix pour sa prestation, très littéraire. Ce soir-là, il se rend compte que sa relation avec le public est plus forte quand il ne parle pas, que ses silences sont plus efficaces que ses mots. Que ses gestes parlent. Il éprouve l’impression qu’un lien, presque palpable, naît alors avec le public. Au fil des représentations, Benoît comprendra que c’est ici, entre les mots, qu’il est le plus à l’aise sur une scène.

Même si à cette époque, Benoît connait mal le mime, son histoire et ses visages, il découvre avec passion l’œuvre d’Alejandro Jodorowsky — dont il lisait déjà les bandes dessinées. En s’intéressant à la vie de l’artiste, il découvre que ce dernier a travaillé avec Marcel Marceau. Un monde s’ouvre à lui : du changement de masque à l’obstacle de la vitre, tous les classiques du pantomime accompagneront le jeune théâtreux dans son apprentissage. Il perfectionne sa pratique et s’oriente de plus en plus vers un jeu surtout gestuel. Il travaille ses mimiques et ses attitudes. Et décide à 21 ans de faire un stage à l’école du mimodrame de Marcel Marceau, à Paris. Le jeune comédien découvre, émerveillé, ce monde fantaisiste.

Quand Benoît parle aujourd’hui du pantomime, il adopte un discours revendicatif. Il aime se placer comme un ardent défenseur de cette discipline. Lui qui se bat contre « la triple malédiction du mime : ringard, désuet et incompréhensible. » C'est avant tout une langue universelle et intemporelle. Un art. Et c’est « en affirmant sa différence », cette sensibilité artistique qu’il chérit tant, qu’il a su ancrer son personnage et par là donner une place importante au mime dans le café-théâtre lyonnais.

Doublure de Mister Bean

Une belle opportunité va se présenter à lui : il se retrouve à assurer la doublure de Rowan Atkison, célèbre acteur de Mister Bean dans Les vacances de Mister Bean, réalisé par Steve Bendelack. Une expérience de trois mois qui représente pour lui « une seconde école ». Tous les jours, pendant le tournage, il rejoue les mêmes scènes que le plus célèbre des muets britanniques, en tant que doublure cascade et lumière. Il apprend alors beaucoup de ce comédien qu’il qualifie de « prodigieux ».

Par la suite, pendant près de huit ans, Benoît joue exclusivement de la comédie dell’arte. On lui confie surtout les rôles de pantomimes comiques dont il apprécie alors l’approche corporelle, muette et gestuelle. C’est de cette expérience qu’est né le personnage du Voisin. C’est de là qu’il puise, encore aujourd’hui, son inspiration. Par paresse ou maladresse, Le Voisin ne parle pas. Il n’a pas besoin de parler. Il murmure ou grogne. Il ne provoque pas les évènements de sa vie mais les subit. Il n’agit pas, mais réagit. C’est comme ça que Benoît a su créer un personnage autant attendrissant que comique. Le public est parfois compatissant, parfois moqueur. Il aime qu’il y ait tout chez son personnage, en rappelant que « dans "café-théâtre", il y a "théâtre"… ». Mais il veille surtout à ce qu'il puisse jouir d’une absolue liberté d’expression. Une valeur qui l’anime et qu'il apprécie chez ceux qui l’ont inspiré : Michel Courtemanche, Charlie Chaplin ou encore Jim Carrey.

Le solo du Voisin débute en 2010 au travers d’un duo, Les Voisins avec Angélique Petit, à Paris. Un spectacle qui connaîtra une centaine de représentations. En 2014, Benoît revient à Lyon et lance le solo Le Voisin. Pendant quelques mois, il écrit et rode son spectacle. C’est alors qu’on le retrouve du côté de la MJC Saint-Just ou de l’Espace Gerson. Renaud Rocher, directeur artistique du Théatre du Fou, le découvre quelques temps après, un peu par hasard. Il est très vite « impressionné par son talent ». Il accroche tellement que Le Voisin restera à l’affiche du Fou pendant trois ans.

Il y a évidemment Le Voisin 2, qui n’est pas vraiment la suite du premier opus, mais plutôt un spectacle complété de nouvelles histoires... Quand on l’interoge sur ses autres projets, Benoît évoque le cinéma, passion qui ne l’a jamais quitté, mais pour laquelle il n’affiche aujourd’hui ni précipitation, ni prétention. Il eut toutefois un rôle important (et… muet) dans le film d’Isabelle Mergault, Je vous trouve très beau en 2006. Il évoque les voyages, lui qui revient de deux festivals en République Tchèque, et plus récemment en Chine. Et il évoque enfin la littérature et ce projet (presque) secret d’écriture d’un genre nouveau. En attendant, on le retrouve chaque dimanche de décembre et janvier au Rikiki.


1979 : Naissance à Lyon
2001 : Diplômé de Sciences-Po Lyon
2001-2003 : École Internationale de Mimodrame de Paris Marcel Marceau
2006 : Antoine, dans Je vous trouve très beau d'Isabelle Mergault (César du meilleur premier film)
2007 : Doublure cascade de Rowan Atkinson dans Les Vacances de Mister Bean
2015 : Le Voisin
2019 : Le Voisin revient

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