Sam Morel / Facteur de contrebasses

Portrait / À vingt-cinq ans, Sam Morel est un luthier surdoué. Formé à l’école de lutherie de Mirecourt, "monsieur contrebasse" au sein de la team Patrick Charton à Saint-Étienne, il vient de remporter un prix lors d’un prestigieux concours à Cleveland, pour lequel il présentait une contrebasse made in France qui lui a demandé près de huit mois de travail. Rencontre avec un jeune homme passionné.

Second d’une fratrie de quatre garçons, Sam Morel est né en décembre 1993 dans le treizième arrondissement de Paris. Pas vraiment de musiciens dans la famille. Partie s’installer à Dinan, la petite famille assiste régulièrement à des concerts de jazz dans un bar où se produit le guitariste Martin Taylor. A peu près à cette époque, Sam tombe sur une vieille collection de disques de jazz. Après des envies de saxophone, l’idée de faire de la contrebasse germe petit à petit, mais le prix d’un tel instrument décourage rapidement le jeune homme qui se rabattra sur une basse électrique. « J’étais en cinquième. Même si je commençais à écouter attentivement les grands jazzmen, ma première motivation était alors de faire du rock dans un garage avec les copains du collège ! » Toujours en Bretagne, les années lycées défilent, Sam prépare un bac L. « La filière littéraire était celle qui comptait le moins d’heures de cours, ce qui me laissait le temps de traîner dans les ateliers de lutherie de la région. »

Travailler le bois au service de la musique

Le projet professionnel de Sam s’affine, il se verrait finalement bien luthier plutôt qu’architecte. Travailler le bois au service de la musique, une idée de moins en moins abstraite. Après s'être initié à la vie d'atelier chez Olivier Pont et Nelly Poidevin, respectivement luthier et archetière à Dinan, Sam fait partie en septembre 2011 des onze candidats (sur deux cents prétendants au départ) à intégrer la prestigieuse école vosgienne de Mirecourt. À 17 ans, il est alors le plus jeune élève luthier de l’Hexagone. Il lui faudra même attendre un trimestre et d’être enfin majeur pour avoir accès aux machines à bois ! « J’ai commencé par faire des violons mais j’ai eu rapidement envie de m’attaquer à des instruments plus imposants. » Lors d’un stage de deuxième année, à Clermont-Ferrand, Sam côtoie un luthier qui réalise des contrebasses. Les choses se concrétisent dans la tête de l’apprenti. Il suivra l’année suivante un second stage, cette fois-ci dans l’atelier de Patrick Charton, sur la colline de Tardy à Saint-Étienne. Le courant passe bien. Sam prend même sur ses vacances scolaires pour passer encore davantage de temps au 88 bis de la rue de la Sablière. À l’issue du stage, Sam rentre à Mirecourt pour terminer son violon, mais ne boucle pas le cursus qui mène au Diplôme des Métiers d’Arts (DMA), préférant accepter le CDI proposé par le luthier stéphanois. On est alors en 2014, le jeune Breton devient Ligérien, perfectionnant son apprentissage auprès d’un artisan aux doigts d’or dont la réputation dépasse largement les frontières de l’Hexagone. « J’ai eu de la chance, je suis arrivé au bon moment, Patrick m’a tout de suite dirigé vers la fabrication des contrebasses. J’ai beaucoup appris sous sa bienveillance. » Le boss partage son temps entre Saint-Étienne et Paris où il possède un showroom entre République et Ménilmontant.

J’ai commencé par faire des violons mais j’ai eu rapidement envie de m’attaquer à des instruments plus imposants.

Sam est fier de prendre pleinement part à la fabrication d’un modèle révolutionnaire de contrebasse tout droit sorti de l’imagination de son patron, l’ultra-démontable SUIT-BASS (SB21), taillée pour le voyage puisqu’elle se glisse dans une mallette aux dimensions classiques d’un bagage en soute. Patrick Charton a imaginé le concept et l’esthétique très épurée de la SB21 en 2003 avec la collaboration technique de son compère Jean-Luc Bleton. Sam se réalise passionnément dans ce métier précis et exigeant, parmi les copeaux, entouré de rabots, ciseaux, couteaux et autre serre-joints. Le contact du bois et la confrontation avec l’aspect structurel des instruments qu’il confectionne semblent le motiver toujours plus. Comme bien sûr tout se tient, le luthier demeure aussi musicien, encore et toujours à la basse, dans le collectif d’afrobeat Kalakutas dirigé par Charles Humbert. Pour autant, Sam a la bougeotte, plein d’envies lui trottent dans la tête. Surtout ne pas s’enraciner, rester ouvert à tous les possibles. Sa douce se languit parfois de son Texas natal, alors pourquoi ne pas traverser l’Atlantique à son tour, dans l’autre sens ? Lorsqu’il manifeste auprès de Patrick Charton son souhait de présenter une contrebasse au concours de la Violin Society of America auquel il a lui-même remporté une médaille d’or en 2004, le patron n’hésite pas longtemps. « Patrick a été super compréhensif, il m’a vraiment encouragé en fournissant tout ce dont j’avais besoin et en m’autorisant à réaliser l’instrument pendant mes heures de présence à l’atelier. Si la contrebasse reste sa propriété, j’ai bien évidemment concouru sous mon propre nom. »

Reconnaissance

Au début du mois de novembre dernier, Sam s’est donc rendu aux Etats-Unis pour participer au vingt-troisième concours biennal VSA qui se tenait cette année au sein du monumental Hôtel Renaissance de Cleveland, Ohio. Plus de trois cent cinquante instruments (violons, altos, violoncelles et contrebasses) ainsi qu’une centaine d’archets étaient soumis à un jury bicéphale, différenciant le son de l’instrument d’une part et la finition de sa fabrication d’autre part. « La contrebasse que j’ai présentée est un modèle 7/8ème, un gros bébé qui m’a demandé à peu près huit mois de travail. » La convention qui accompagne la compétition durant cinq jours permet aux luthiers de se rencontrer et de suivre des conférences en attendant le grand banquet final et l’annonce des résultats. Dans la catégorie contrebasse, une double médaille d'or a été attribuée à Christopher Savino, luthier chez Robertson & Sons à Albuquerque, Nouveau Mexique. Quant à Sam Morel, il s’est vu fièrement remettre un certificat de mérite qui lui offre une très belle carte de visite. « Le soir du palmarès, il y avait une certaine tension car le fait de participer au plus grand concours mondial de notre spécialité représente un enjeu important pour tous les candidats. » Le french luthier peut ainsi commencer à tirer de nouveaux plans sur sa comète. Avant de prendre son avion pour regagner la France à l’issue du concours, Sam a laissé comme prévu sa contrebasse en dépôt-vente (il faut compter 28 000 dollars hors taxes) dans l’atelier new yorkais de David Gage, lequel lui fait désormais de l’œil pour venir travailler à ses côtés à Manhattan. Une belle reconnaissance en forme de promesse.


Sam Morel en cinq dates :

1993 : naissance à Paris
1998 : déménagement à Dinan
2011 : entrée à l’école de lutherie à Mirecourt
2014 : arrivée chez Charton à Saint-Étienne
2018 : concours VSA à Cleveland

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