Chroniques d'un monde virtuel

Lyrique, visionnaire et enivrant, le dernier Spike Jonze dresse le portrait d’une société future atomisée et désincarnée, où les frontières entre intelligence humaine et artificielle semblent plus poreuses que jamais. Un conte aux accents apocalyptiques non dépourvu d’humour, ni d’espoir.

Instants poétiques, intérieurs hauts en couleurs et rues en nuances de gris, l’objectif qui s’attarde longuement sur le visage de Joaquin Phoenix, rendu moins ténébreux et plus vulnérable par l’ajout d’une moustache en brosse et de lunettes rondes, chemises criardes, séquences où Théodore, son personnage, erre lentement sur une sonate pour piano, fugues instaurant une parenthèse lyrique dans la monotonie de l’existence. Her est avant tout un poème en prose, une fable mélancolique sur un monde qui se morcelle et la vaine tentative d’un de ses habitants pour y remédier.

Miné par sa récente rupture, Théodore sublime son désarroi en écrivant des lettres d’amour pour autrui, dans une entreprise de services futuristes aux couleurs chaudes et bigarrées. Il est naturellement le meilleur du service : les hommes heureux ne font jamais de grandes plumes. Le reste du temps, il noie son ennui en jouant à des jeux vidéo immersifs dans son nid d’aigle à la vue vertigineuse. Fenêtre panoramique embrassant la ville-monde. Jusqu’au jour où il rencontre Samantha, un système d’exploitation intelligent, capable d’apprendre de ses expériences et d’éprouver des émotions humaines. Une idylle improbable et pourtant diablement romantique se noue entre ce type perdu dans la modernité et la voix sensuelle de son ordinateur, incarnée par Scarlett Johanson.

Parfois hilarant, souvent désespérant, toujours très beau, Her est une dystopie parcourue de thèmes houellebecquiens, s’interrogeant sur l’aboutissement des évolutions qui traversent la modernité. Extinction progressive du désir et de la libido, rupture du lien social et atomisation des individus (les particules élémentaires chères à Houellebecq), la technologie comme source de confort, mais aussi d’isolement, la ville aux gratte-ciels monolithiques, inhumaine, nimbée d’une grisaille permanente de particules fines (toute ressemblance avec l’actuelle Shangai serait fortuite), un anti-héros lassé, brisé, en bout de course.

On distingue çà et là quelques tentatives de renouer avec un passé idéalisé, dans une illusoire quête de sens et de valeurs : les lettres manuscrites, la cabane de bucheron, la plage. Mémoires fugaces teintées de vie dans un monde dématérialisé et anomique. De même, l’aventure qui lie Théodore à Samantha ressemble à l’ultime sursaut d’un être incomplet pour renouer avec la communion des âmes, à l’ère où les êtres sont des monades qui se frôlent sans se rejoindre, où la baise se résume à une branlette téléphonique suivie par le bip acide du combiné qu’on raccroche. Aventure naturellement vouée à l’échec, mais riche en bonheur fugace. Et structurée par les traditionnelles étapes de chaque relation humaine : lune de miel, routine, rupture. Silence de mort. Jusqu’au final ambigu, incertain, où deux atomes égarés se rejoignent sur le toit du monde, confrontation avec l’absurde dans une aube rougeoyante.

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