MERCI PATRON ! de François Ruffin et Fakir

Militantisme jouissif !

Gagner par un élan de militantisme virtuel, sans doute lié à l’atmosphère actuelle qui vise à mettre en pièces les droits des salariés, je m’étais promis d’aller voir Merci Patron !, ce documentaire qui, sans avoir la couverture médiatique d’un blockbuster d’Hollywood, a quand même fait parler de lui par son côté provocant.

En même temps, aller s’installer dans un fauteuil peu confortable – je ne dirai pas le nom du seul cinéma de Grenoble qui le passe car il au moins le mérite de le programmer, ce qui vaut tous les inconforts – pour voir, pendant une heure et demie, le rédacteur en chef d’une feuille de chou alternative et picarde essayer de faire entendre à Bernard Arnault la détresse d’une famille de Poix-du-Nord, au RSA suite à leur licenciement quelques années plus tôt, ne m’emballait pas non plus outre mesure.

Nous avons notre dose de documentaires sur la misère du monde en regardant Arte – j’assume le côté bobo, qui a l’énorme avantage sur une salle de cinéma que l’on peut à tout moment changer de chaîne, ou si on les regarde en décalé avancer rapidement, lorsque trop c’est trop …

Et ça commence fort avec François Ruffin qui se lave les dents dans sa salle de bain, et dont on se demande pourquoi il nous inflige ce spectacle peu artisitique, dans ce lieu exigu et encore en travaux. Rassurez-vous la réponse vient rapidement, et après ces 30 secondes d’incertitude sur le bien fondé de ma présence dans ce cinéma, j’ai passé un moment de pur bonheur.

Bien plus qu'un documentaire : un vrai film

Tout d’abord Merci Patron ! est un vrai film, avec un scénario qui tient le spectateur en haleine. Scénario qui n’était sans doute pas écrit dès le début tant la réaction du groupe LVMH est rapide et surprenante suite à l’envoi du courrier censément écrit par le fils de la famille Klur : un adjoint du directeur de la Sécurité du groupe les rappelle quelques jours plus tard pour leur proposer un arrangement ! On assiste alors à des scènes surréalistes, filmées en caméra cachée, où l’émissaire leur propose de régler leurs dettes, de trouver un travail au père de famille d’un coup de fil au supermarché du coin dont Bernard Arnault est actionnaire et leur explique les raisons de la bonne volonté du grand patron. Bien sûr en échange de leur silence sur ces tractations.

Et c’est là évidemment que le bât blesse : on se demande immédiatement, puisque nous regardons ce film, comment François Ruffin va pouvoir contourner le protocole de confidentialité signé par les deux parties sans mettre en péril ce qu’il a obtenu pour les Klur ni ruiner son propre journal, dont on imagine qu’il puisse être écrasé comme une mouche par le service juridique de LVMH. A l’image d’un film d’espionnage, la manipulation va se mettre en place jusqu’à atteindre l’objectif souhaité, être inattaquable. On imagine sans peine la satisfaction du « scénariste », car au contraire d’un film de fiction dont il aurait maîtrisé l’écriture, l’histoire et ses rebondissements s’écrivent dans le réel et sont susceptibles de tourner court à tout instant, mettant fin de fait au film lui-même. Cela crée un véritable suspense, dont l’issue heureuse est particulièrement libératoire et jouissive, d’autant qu’elle est avalisée par notre fameuse barbouze dont les apparitions récurrentes sont toutes des morceaux d’anthologie.

L’autre atout du film est son réalisateur et acteur. Il installe d’emblée un ton distancié et ironique, provoquant par contraste les réactions évidemment attendues de ses interlocuteurs, qui se livrent sans retenue. Il décline son « I love Bernard » à toutes les sauces – tee-shirt, mug, casquettes, en taille XXL sur sa camionnette – invitant à aider Bernard Arnault à révéler sa part d’humanité. Il se dégage de Merci Patron ! une force enjouée qui porte la contestation et emmène ses protagonistes au-delà de leurs attentes, si tant est qu’ils aient imaginé où tout cela allait les conduire.

Dignité retrouvée

Enfin les héros, attachants, sont tous ces salariés qui depuis trente ans, époque du rachat de Boussac Saint-Frères, ont vu leurs sites de production fermer pour orienter le groupe vers l’industrie du luxe. Ils vivent comme une sorte de joyeuse revanche l’épopée à laquelle ils participent.

Bien sûr, l’action entreprise ne va permettre qu’à une seule famille d’en tirer profit ; l’objectif n’était pas d’entreprendre une lutte collective contre l’empire LVMH. Mais on sent que cette démarche permet à tous ces gens de reconquérir leur dignité face à ce rouleau-compresseur qui les avait écrasé à une époque. Et c’est sans doute là aussi une des réussites de l’aventure.

Force et faiblesse de l'image

Le dernier enseignement à tirer de ce combat du pot de terre contre le pot de fer est l’importance stratégique de l’image d’un tel groupe, qui en fait généralement sa force mais qui parfois peut constituer son talon d’Achille. Pourquoi réagit-il aussi vite ? Tout simplement pour ne pas être accusé de provoquer la détresse de ses ex-employés et en conséquence ne pas entacher son image. François Ruffin en joue à merveille et la scène finale où un actionnaire questionne Bernard Arnault sur les raisons d’un tel déploiement de forces de sécurité à l’entrée de l’assemblée générale, montre à quel point une action bien ciblée d’un groupe minuscule, a priori inoffensif vu le rapport de forces, peut momentanément inquiéter, voire faire paniquer, le mastodonte.

N’hésitez donc pas en pousser la porte d’une des salles de cinéma où le film est programmé, non seulement vous verrez un excellent film, mais vous ferez une bonne action en soutenant son réalisateur et son entourage.

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