CAPTAIN FANTASTIC de Matt Ross

De l’intérêt des avant-premières

Mi-août lors de l’avant-première de Divines, soirée exceptionnelle, Patrick Ortéga, l’un des deux directeurs du Club, nous avait mis l’eau à la bouche en nous invitant à cette nouvelle séance début septembre en présence du réalisateur, Matt Ross. A vrai dire il avait bien chauffé le public en révélant qu’il n’y en avait en tout et pour tout que deux en France, dont une à Grenoble donc. Ou comment chatouiller gentiment l’orgueil des spectateurs, en leur faisant miroiter l’accès à un privilège rare.

Je dois avouer humblement qu’à l’époque je n’avais pas entendu parler de ce film, ou que si javais vu son titre, je l’avais pris pour une nouvelle aventure d’un super-héros américain, que j’avais donc aussitôt oublié.

Mais le simple énoncé du nom de son acteur principal, Viggo Mortensen, ravive l’intérêt. Ses rôles sont généralement sous tension. Il leur donne de la profondeur et souvent du mystère. Ses personnages dégagent de la puissance et du charisme. Mais comment se glissera-t-il dans la peau d’un père de famille éduquant lui-même sa progéniture ?

A vrai dire, ce genre de film n’est a priori pas trop ma tasse de thé. Je suis assez mauvais client de ces histoires de famille choisissant de vivre totalement en marge de la société car, même si les enfants y développent des aptitudes et des connaissances très au-delà de ce que le système éducatif leur apporterait, elles se finissent souvent en drames, ou au mieux en livrant à la société, car à un moment ou à un autre ils y sont confrontés, des enfants totalement inadaptés et qui en souffrent. Le retour sur Terre est généralement sans pitié et ravage les illusions. D’ailleurs par nature ce sont les parents qui font ce choix qu’ils considèrent comme meilleur pour leurs enfants. Ces derniers l’auraient-ils fait s’ils en avaient eu la possibilité ? Mais c’est une question purement théorique car par essence ce choix est fait avant qu’ils en aient conscience.

Captain Fantastic

Histoire qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur la symbiose de la famille à la nature, le film commence par une chasse quasiment à mains nues, où l’aîné va abattre un cerf avec un poignard et croquer à pleine dents son foie, rite initiatique de passage à l’âge adulte. Quelques minutes plus tard, une fois que tout le monde est débarbouillé, et que le cerf a été dépecé, les six enfants, qui ont environ de 6 à 18 ans, et Ben leur père, se retrouvent autour du feu de bois à lire des ouvrages sur la physique quantique, la sociologie ou l’histoire des Etats-Unis, la plus jeune fille montrant plus tard dans le film qu’elle maîtrise parfaitement la constitution de son pays ! La vie au naturel et la précocité intellectuelle.

On se rend compte immédiatement qu’il manque une personne : la mère. Hospitalisée depuis un certain temps, on apprend rapidement qu’elle décède, précipitant les enfants dans un grand désarroi, d’autant que Jack, leur grand-père maternel, refuse que Viggo Mortensen vienne à l’enterrement car il le tient responsable de la mort de sa fille et désapprouve totalement son mode de vie et sa manière d’éduquer ses petits-enfants.

Le tableau est posé et le spectateur est prêt à la confrontation, car bien sûr, Ben et ses enfants décident de se rendre aux funérailles. Pour se recueillir auprès de leur épouse et mère, mais surtout pour faire respecter sa volonté d’être incinérée selon un rite bouddhiste. Ce qu’il est fort peu probable que Jack, son père, ait prévu de faire !

Le choc sera rude, les découvertes nombreuses, souvent ponctuées de situations comiques dues au gouffre qui sépare l’univers dans lequel les enfants se sont épanouis de celui dans lequel ils sont plongés sans préavis.

Comme des soupapes qui se libèrent d’une pression inconsciente, des conflits inattendus émergent entre le père et ses enfants ; les tensions avec le grand-père s’exacerbent ; Ben voit tout ce qu’il a bâti, pensant de bonne foi que c’était le chemin à suivre pour le bonheur de sa famille, commencer à se lézarder ; la situation lui échappe et le laisse désemparé, seul face aux remords qui commencent à le submerger. On se sent glisser inéluctablement vers une conclusion dramatique voire tragique.

Captain Ross

Vous découvrirez comment le film rebondit et se conclut, laissant volontairement le temps au spectateur, perplexe, de se faire sa propre interprétation de la dernière scène. En ce qui me concerne, bien qu’emballé par cette aventure, je me suis toujours senti un peu à distance, sans doute à cause des a priori décrits plus hauts, d’autant que le scénario du film avait plutôt tendance, longtemps, à me conforter dans ces pressentiments.

Matt Ross est arrivé sous de chaleureux applaudissements, moins nourris peut-être et déchaînés que lors de Divines où le public, remué, voulait de tout cœur acclamer le film, la réalisatrice et la femme, les interprètes. Mais la salle était pleine et on sentait les spectateurs à la fois émus et désireux d’interroger le réalisateur sur ce projet éducatif hors-norme : a-t-il un aspect autobiographique ? Existe-t-il des familles vivant de cette manière aux Etats-Unis ? Pourquoi fêtent-ils l’anniversaire de Noam Chomsky ? Comment a-t-il été perçu en Amérique ? Il y avait même des russes l’ayant vu à Moscou en août et revenant pour faire part de leurs réflexions et de leur satisfaction à Matt Ross !

Nous avions en face de nous un réalisateur américain de 45 ans qui, en tant qu’acteur, avait donné la réplique à Leonardo di Caprio, qui avait reçu le Prix de la Mise en scène à Cannes dans la catégorie Un certain regard, et qui était en compétition à Deauville, au festival du film américain – où il a été d’ailleurs récompensé du Prix du Public et du Prix du Jury. On pouvait s’attendre, si ce n’est à la langue de bois, au moins à un jeu de questions-réponses un peu convenues, même si Matt Ross ne fait pas partie de la caste hollywoodienne mais du circuit indépendant, symbolisé par le festival de Sundance où le film a été projeté la toute première fois en janvier 2016.

Nous avons eu un citoyen, répondant simplement et sincèrement à chaque question, comme dans un groupe d’amis qui discutent sans la légère retenue de gens qui ne se connaissent pas encore. Au passage il a fortement critiqué le système éducatif américain ; il nous a fait part de son enfance heureuse passée à la campagne et du choc culturel qu’il avait ressenti en tant qu’adolescent, en rentrant au lycée dans la grande ville locale ; il nous a parlé de la manière dont il essayait de transmettre, par l’exemple, certaines valeurs à ses enfants ; et il est revenu sur Noam Chomsky, confirmant ainsi qu’un certain nombre d’opinions dans son film étaient effectivement auto-biographiques.

Par contre il a refusé régulièrement de révéler sa propre interprétation de certaines scènes qui peuvent se lire de plusieurs façons, préférant laisser le spectateur se faire son avis et ne voulant surtout ni le confirmer ni l’infirmer, le fait de soulever des questions lui semblant plus important que d’imposer une réponse.

Chacune de ses interventions a éclairé et a enrichi le film. On se rendait compte à l’écouter, que toutes ces questions sur l’éducation et sur les relations parents-enfants que le spectateur se pose au fur et à mesure de la séance, étaient le fruit de sa propre interrogation qu’il avait subtilement distillée dans toutes ces scènes où nous avions ri ou tremblé.

A la faveur d’une question sur Viggo Mortensen il est même revenu assez longuement sur la genèse du film et sur sa relation avec son acteur principal, qui lui avait renvoyé un mail de treize pages après sa première lecture du scénario ! Chacun avait visiblement mis beaucoup de ses propres convictions dans Captain Fantastic !

Petit à petit en écoutant Matt Ross, ce film, qui m’avait plu sans soulever une exaltation débordante, m’est apparu comme une réflexion plus profonde et perspicace méritant un enthousiasme sans réserve ; d’autant que la fin laisse penser qu’une légère inflexion des principes rigides du père, conscient de ses devoirs vis à vis de ses enfants, permet d’envisager un atterrissage en douceur dans la société tout en préservant leur agilité intellectuelle et leur sens critique.

Encore !

Jusqu’à maintenant j’allais aux avant-premières pour ce petit goût un peu égoïste d’exception et de privilège que l’on ressent à voir un film avant tout le monde et à rencontrer un personnage public auréolé d’une petite célébrité. J’irai, maintenant, parce qu’elles peuvent offrir des clés supplémentaires de compréhension des œuvres, qu’elles les font apprécier non seulement pour leurs caractéristiques artistiques mais pour la part d’eux-mêmes, en tant qu’être humain et citoyen, que les réalisateurs peuvent y mettre et qu’elles contribuent à « mieux aimer » un film en nous dévoilant ce qui a prévalu à sa réalisation.

Pour finir, un remerciement à l’interprète dont la fluidité a grandement permis la richesse de ces échanges.

Captain Fantastic, à partir du 12 Octobre au Club

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