Critique du film I am not Madame Bovary de Feng Xiaogang

Grain de sable

« I am not Madame Bovary » est un film remarquable au moins pour trois raisons : son format, qui évidemment surprend dans les premières secondes, mais crée un véritable effet de concentration du spectateur ; son histoire, qui apparaît alambiquée au début, mais qui brasse certaines des contraintes sociétales historiques de la Chine moderne ; sa critique à la fois acerbe et humoristique de l’organisation politico-administrative où chacun passe plus de temps à plaire à ses supérieurs – ou du moins leur éviter la moindre contrariété – qu’à traiter les problèmes des citoyens.

« I am not Madame Bovary » est une mèche lente, allumée par une femme le jour où elle veut faire admettre que son divorce, qui a toutes les apparences de la légalité, est en fait un faux, arrangé initialement avec son mari pour récupérer un nouveau logement. Mais sitôt les papiers signés, il part vivre avec une autre. Alors, blessée, elle veut faire annuler la fausse séparation pour pouvoir rompre définitivement mais cette fois pour de bonnes raisons ! Evidemment elle n’aura pas gain de cause au tribunal.

C’est à ce moment qu’elle craque l’allumette : mécontente du comportement du juge, elle porte plainte contre lui ; puis n’obtenant pas satisfaction, va se plaindre au chef du district, puis au préfet et remonte petit à petit jusqu’à Pékin où se tient l’Assemblée du Peuple. Ils s’agitent tous pour l’empêcher d’importuner les instances supérieures, frappant des pieds, en sautillant comme s’ils se brûlaient, cette mèche qui pourtant ne cesse de se consumer et leur fait redouter un embrasement. Et à peine croient-ils qu’elle renonce, qu’elle remonte à l’assaut année après année.

« I am not Madame Bovary » est un grain de sable qui vient contrarier la mécanique du parti habitué à traiter les masses et qui se trouve démuni face à l’obstination d’un individu. Toutes proportions gardées elle a un côté « Homme de Tian’anmen » devant lequel les chars ne savent plus quoi faire. À ce titre les séances d’auto-critique des dignitaires sont exceptionnellement drôles et savoureuses, lorsqu’ils se demandent s’ils déploient les bonnes méthodes pour prendre en compte les besoins du peuple et en particulier s’ils font suffisamment attention aux « détails », selon le bon vieil adage « Le diable est dans les détails ».

« I am not Madame Bovary » est une partie de ping-pong, justice, police, administration et parti se renvoyant la responsabilité de l’incapacité à faire cesser les plaintes de cette citoyenne dont personne n’arrive à saisir la logique humaine de femme meurtrie. Et comble de la tracasserie administrative, au moment où, lassée, elle est prête à abandonner toute poursuite, le simple fait qu’on exige d’elle qu’elle signe cet engagement plutôt que de se contenter de sa parole, la froisse et lui donne l’énergie de repartir au combat !

Cadrage inattendu

Le film se déroule dans un cercle. L’effet est saisissant d’autant que l’on pense qu’il s’agit d’un artifice de présentation de l’histoire qui va durer quelques secondes. Non, nous sommes bien partis pour deux heures à fixer l’image comme si nous la regardions à travers une longue vue. Cela crée une intensité étonnante car compte tenu de la place dont il dispose, le réalisateur ne peut traiter que son propos principal du moment et qui n’est perturbé par aucun paysage, arrière-plan ou action annexe.

Critique du système chinois

Feng Xiaogang est un réalisateur reconnu et populaire en Chine où ses films, plutôt des comédies, tournés sur place et produits par des partenaires locaux ont tous été de grand succès. Il est d’autant plus remarquable qu’avec « I am not Madame Bovary » il prenne le risque d’un format inhabituel et d’une critique, du début à la fin, du système politico-administratif de son pays. Bien sûr cela est fait sur un mode léger et humoristique mais il passe clairement à la moulinette tous les acteurs du régime et leur comportement. Bulle de liberté officiellement autorisée ? Ou simple évolution de la société qui laisse les coudées franches à l’économie et à certaines formes artistiques ?

Ce qui est par contre dommage c’est qu’il ne soit pas plus largement distribué, les séances sont rares !

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