Critique du film Lumières d'été de Jean-Gabriel Périot

Le fantôme d’Hiroshima

Le film commence par un double coup de marteau : le récit de l’explosion de la bombe d’Hiroshima par une survivante, qui à l’époque avait 14 ans, et qui y a assisté en tant que spectatrice et victime. Les mots sont simples, horriblement concrets ; la voix nous transporte petit à petit sur cette route que parcourt la jeune fille à la recherche de sa mère et où elle laisse sur le bas-côtés ces gens qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes et dont soudain le corps se transforme sous l’impact des radiations et des brûlures. Le récit est long, par moment on se demande si l’on ne va pas décrocher, mais la force intérieure du souvenir nous ramène sans faille à cet événement dont Mme Takeda, qui n’en avait jamais parlé publiquement auparavant, n’a oublié aucun détail 70 ans plus tard. D’autant que sa sœur Michiko, jeune infirmière de 20 ans n’a pas survécu, se sacrifiant au chevet des irradiés.

Touché par cette histoire, dont il sent qu’elle remue des choses profondément enfouies, le réalisateur japonais, qui terminait avec ce témoignage éprouvant son documentaire pour la télévision française, ressent le besoin de prendre l’air et sort s’asseoir sur un banc dans le Parc de la Paix, tout proche de l’hôtel d’Hiroshima où se tenait le tournage.

Qui est cette jeune femme, vêtue d’un kimono traditionnel, et très entreprenante ? Pourquoi après quelques hésitations accepte-t-il de la suivre pour aller goûter un plat traditionnel malgré ses engagements professionnels ? Essaye-t-elle juste de le séduire ? Est-il attiré par sa fraîcheur ou au contraire par cette subtile aura de nostalgie qu’elle dégage ? Serait-il victime d’une hallucination ?

Pourtant ils s’engouffrent bien réellement dans le train qui les mènent vers la mer. Michiko, bien qu’habitant Hiroshima, n’a jamais été à la plage. Akihiro, de plus en plus perplexe, ne se préoccupe plus des heures qui s’écoulent. Le film se tient sur une fine crête entre conte qui ferait revivre un personnage du passé et introspection du réalisateur. Il retrouve les plaisirs simples de l’enfance à travers Yugi qui pèche avec son grand-père, il goûte la chaleur d’une famille recomposée entre ces quatre êtres solitaires rassemblés le temps d’un barbecue, et il redécouvre les fêtes et danses traditionnelles célébrant les personnages mythiques.

Dans ce jour volé au temps qui passe, la tragédie nucléaire affleure régulièrement, restée vive dans l’esprit des vielles personnes, nous rappelant, s’il en était besoin, qu’Akihiro et Michiko, ne partagent sans doute pas par hasard cette balade entre rêve et réalité. Ils s’épaulent l’un l’autre : elle trouvant en la personne du réalisateur un chemin pour faire remonter à la surface une mémoire oubliée, lui s’appuyant sur cette apparition diaphane pour retrouver ses racines japonaises. Et après le choc initial qui lui imposait brutalement la réalité de l’horreur, il se laisse doucement imprégner de cette douleur diffuse nichée au cœur des habitants de la ville martyr, comme une cicatrice dont les lèvres ne se refermeront jamais complètement et continueront de murmurer.

Laissez-vous prendre la main par le fantôme d’Hiroshima …

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