NOS ANNÉES FOLLES de André Téchiné

Droit à l’erreur dans une belle et longue carrière !

Comment faire d’un sujet intéressant, qui interroge l’identité sexuelle et la bisexualité latente de tout être humain – au sens où en chacun de nous cohabitent, dans des proportions variées, masculin et féminin – un film qui évite consciencieusement de traiter la question, et qui peut induire – sans doute involontairement, laissons à André Téchiné le bénéfice du doute – certaines interprétations ambiguës sur l’essence d’un travesti.

Comment effectivement comprendre le fait qu’à peine maquillé, perruqué, vêtu d’une robe et d’une écharpe qui dissimule sa pomme d’Adam, Paul, rebaptisé Suzanne, va directement au Bois de Boulogne faire des passes, sans que cela ne soulève aucune question ? Déserteur et condamné à rester à la cave, il éclatait de rire devant la proposition de son épouse de le déguiser en femme pour pouvoir sortir, et refusait même l’idée de se travestir. Et on le retrouve quelques jours plus tard, tout naturellement, en train de se prostituer, et d’en être visiblement heureux. Dans une mise en scène d’un autre âge où, usant d’une allégorie théâtrale, le réalisateur a le bon goût – c’est ironique – de nous épargner les détails des pratiques auxquelles Paul se livre.

C’est justement ce qu’il aurait été intéressant de creuser : comment un homme, amoureux de sa femme, sentimentalement et sexuellement parlant, se retrouve, en y prenant visiblement goût, à branler des bourgeois et à leur tailler des pipes ? Est-ce une illumination divine ? Suffit-il à un homme de mettre une robe et des bijoux pour se transformer en pute ? On aurait aimé avoir, sur cette métamorphose qui n’est pas totalement anodine et qui est la base de l’histoire qui nous est racontée, un regard plus subtil, plus fouillé, plus sensible, esquissant, au minimum, les interrogations, les doutes, les découvertes ou les révélations qui traversent cet homme. Sa femme ne semble d’ailleurs pas non plus se poser tellement de questions sur le comportement de son mari, se contentant de lui dire qu’elle ne prend pas de plaisir à l’accompagner dans ses virées nocturnes et qu’elle préfère ne pas y retourner !

Ou alors faudrait-il voir dans ces plans où le soldat est filmé dans les tranchées, le regard perdu, traumatisé par une guerre qu’il ne supporte plus, une expression d’une sensibilité forte qui expliquerait sa future évolution ? Ce serait tellement caricatural que je n’ose l’imaginer ! Et pourtant André Téchiné est un maître du scenario et a souvent, si ce n’est toujours, fait preuve dans ses films de nuance, de sensibilité justement, pour ausculter les passions naissantes de ses personnages ou les bouleversements de leur vie.

Je passe les courtes scènes de batailles, la vie des soldats pendant leurs rares moments de repos et les défilés d’une foule en liesse célébrant la victoire. Était-ce un problème budgétaire ? Un manque de savoir-faire ? Ou le peu d’appétence du réalisateur pour les reconstitutions historiques et les films en costume d’époque ? Ne serait-ce pas d’ailleurs le seul de sa longue carrière ? Tout est convenu et sent le décor en carton-pâte. Et par délicatesse on ne s’appesantira pas sur le directeur de théâtre qui, en parallèle aux flash-back et au récit au présent, met en scène la vie du héros. Il n’est pas sûr que cela contribue à la qualité de la narration et du déroulement du film.

De manière étonnante et après nous avoir infligé cela pendant près d’une heure et demi, les dernières quinze minutes commencent à s’intéresser aux personnages, à leurs émotions, à leurs malaises, à leurs frustrations. La guerre se termine et le travestissement n’est plus nécessaire. Mais Paul est soudain perdu et regrette visiblement la peau dans laquelle il s’était glissé. On palpe son désarroi et l’indécision qui l’agite. On ressent la passion que sa femme, Louise, éprouve pour lui, quelque soient ses comportements. On redoute ensuite les conséquences du refus de ce même Paul d’être père. Et coïncidence ou pas, ce réveil du scenario correspond à l’irruption d’un riche noble, Charles De Lauzin, séduit dans un premier temps par Suzanne, mais plus encore ensuite par Louise. Comme si André Téchiné, s’était ennuyé à traiter l’histoire de ce couple, pourtant peu ordinaire mais dont visiblement il ne savait pas comment l’aborder, et qu’il retrouvait l’inspiration lorsqu’il fallait traiter la dramaturgie d’un triangle amoureux !

A oublier au plus vite.

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