Potiche

Pour son déjà douzième long-métrage, l’insaisissable François Ozon s’empare d’une pièce de boulevard signée Barillet et Grédy pour en tirer une adaptation très libre, politique, drôle et mélancolique, au casting parfait et à la mise en scène fluide et élégante. Christophe Chabert

Un mot d’abord sur l’étrange carrière de François Ozon. Peu de cinéastes français contemporains ont été aussi prolifiques (un film par an depuis 1998), aussi éclectiques et aussi inégaux. Impossible à partir de sa déjà imposante filmographie de faire des généralités : il a fait de grands films intimistes ("5X2", "Le Temps qui reste") mais en a raté à peu près autant ("Swimming Pool", "Le Refuge") ; avec des sujets plus conséquents, les fortunes sont aussi diverses, du baroque provocateur "Les Amants criminels" au romanesque neurasthénique d’"Angel" ; quand il adapte du théâtre, cela peut donner un film poussif comme "8 femmes", mais aussi une bonne claque comme "Gouttes d’eau sur pierres brûlantes". "Potiche" ajoute encore du paradoxe : d’abord, il sort la même année que ce qui est sans doute le pire film d’Ozon ("Le Refuge") ; ensuite, il s’apparente à une commande ouvertement grand public façon "8 femmes" ; enfin, il s’agit d’une comédie, genre qui a peu réussi à Ozon depuis son initial "Sitcom". Pourtant, le cinéaste est ici à son meilleur, et si "Potiche" est avant tout un excellent divertissement, il aborde des territoires encore inconnus dans l’œuvre d’Ozon.

La «fraternité» contre le «travailler plus»

L’histoire de Potiche se déroule en 1977, trois ans avant la rédaction de la pièce de Barillet et Grédy dont le film est inspiré. On pense d’abord que ce léger décalage temporel permet de laisser libre cours au goût avéré d’Ozon pour le kitsch, puisque décors, coiffures, costumes et musiques sont soigneusement estampillés 70’s, et participent du plaisir ludique façon "OSS 117" qui se dégage du film. Mais 1977, c’est aussi 2007 moins 30, et cette équation représente la pincée de sel ajoutée pour transformer un matériel venu du boulevard en ironique réflexion sur l’événement politique contemporain qu’est le match Sarkozy / Royal durant la dernière présidentielle. Dans "Potiche", le match est d’abord conjugal : Robert Pujol (Fabrice Luchini, comme un poisson dans l’eau dans un rôle d’acariâtre lâche et autoritaire) a épousé Suzanne (épatante Deneuve, à qui le film doit beaucoup), et récupéré en dot la florissante usine de parapluies de son beau-père. Pujol est un parvenu cynique, méprisant ses ouvriers, trompant son épouse avec sa secrétaire, préférant sa fille arriviste à son fils aux idées progressistes. Suzanne n’est qu’une potiche, qui s’occupe de la maison, de la cuisine et des enfants. Après avoir été séquestré dans son usine, Pujol est mis au repos forcé et c’est sa grande bourgeoise de femme qui reprend les affaires, rétablit contre toute attente la paix sociale à l’aide du député communiste Babin (Depardieu, une quatrième fois génial cette année sur les écrans) et s’offre un salutaire sursaut d’indépendance. Au milieu des dialogues plutôt enlevés de Barillet et Grédy, Ozon a disposé des répliques de son cru volées à l’actualité : Pujol lance des «Pour gagner plus, il faudra travailler plus» et autres «Casse-toi pov’con» ; Suzanne, elle, ne jure que par la «fraternité». Potiche vaut plus cependant que ce genre de détails potaches, car Ozon ajoute au clin d’œil un audacieux commentaire qui sous-entend que ces deux-là viennent en fait du même monde, conservateur et nostalgique ; et même que Suzanne-Ségolène est peut-être la plus bourgeoise des deux, Robert-Nicolas n’étant dans le fond qu’un nouveau riche profiteur.

Flashbacks et come back

Que "Potiche" soit une formidable comédie politique ne fait pas de doute ; mais sa réussite dépasse encore ce cocktail jubilatoire. Car Ozon va dévoiler le passé sentimental de Suzanne, révélant que l’épouse n’a pas toujours été fidèle ; au contraire, ses jeunes années furent un incessant libertinage. Ces révélations, la mise en scène les orchestre partie avec de belles scènes intimistes et douces-amères entre Deneuve et Depardieu, partie par des flashbacks hamiltoniens où leurs alter-ego jeunes marivaudent en bord de route. Ozon surprend alors par le sérieux de sa mise en scène, passant avec souplesse du deuxième au premier degré pour faire surgir la mélancolie et l’émotion. Cette précision et cette fluidité, cela faisait longtemps que le cinéaste ne les avait pas déployées à l’écran. Dans "Potiche", tout s’enchaîne avec grâce, légèreté, simplicité : l’humour, l’ironie, les larmes, la danse… On ne dira pas qu’il s’agit d’un accomplissement ou d’un nouveau départ (avec Ozon, la prudence est de mise) ; juste du surprenant et réjouissant retour au premier plan d’un cinéaste dont on n’attendait plus grand chose depuis quelques films.

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