Amour

Nouveau sommet dans l’œuvre de Michael Haneke, le crépuscule d’un couple comme une ultime épreuve de leur amour face à la maladie. Sublime, grâce à une mise en scène à la bonne distance et deux comédiens admirables. Christophe Chabert

C’est un petit-déjeuner comme les autres pour Georges et Anne (Trintignant et Riva, vraiment bouleversants), octogénaires, mariés depuis des lustres mais toujours amoureux. Sauf que, soudain, Anne ne bouge plus, comme absente à elle-même. Georges tente de la sortir de cette léthargie, rien n’y fait. Tout aussi soudainement, elle revient à elle, comme si ce long blanc n’avait pas existé. C’est le premier signe de la maladie qui va peu à peu lui faire perdre son autonomie physique, puis l’usage du langage, «et la suite, on la connaît» comme dit Georges à sa fille, bourgeoise agaçante de commisération. Mais la scène elle-même pourrait être celle d’un film fantastique. Avec Amour, Michael Haneke démontre à nouveau à quel point il sait faire surgir cette angoisse à l’intérieur du quotidien : une serrure fracturée, un pigeon qui s’introduit dans l’appartement, un cauchemar où Georges est attaqué par un individu masqué qui l’étouffe… Dans ce huis clos asphyxiant dont l’issue est annoncée dès le prologue, l’inquiétude est là, palpable dans la chair des plans subtilement éclairés par l’immense Darius Khondji. Alors, s’il n’y a pas d’alternative à la mort qui rode, y a-t-il encore une place pour l’amour ?

Un monstre gentil

Surprise : Haneke répond "oui". Un "oui" qui lui ressemble, plein de paradoxes et de doutes ; mais un "oui" quand même. Georges choisit d’accomplir la volonté d’Anne : ne pas retourner à l’hôpital, finir ses jours chez elle auprès de son mari. La dégradation de son état devient un défi moral pour Georges : comment lui conserver la même tendresse que celle qu’il avait pour elle lorsqu’elle possédait tous ses moyens ? Comment déceler la part d’humanité toujours vivante derrière ce corps en souffrance ? Refusant la régression (une infirmière trop mielleuse en fait les frais) mais aussi l’affliction (sa fille, jouée par une délicieusement odieuse Isabelle Huppert), il doit rester droit et digne. Les cadres au cordeau du cinéaste, son goût pour la distance et l’épure n’ont plus le caractère coupant et clinique de ses films précédents : ils se font impératifs moraux pour éviter toute complaisance, toute obscénité face à ce qu’il filme. Haneke, c’est Georges, dont Anne disait de lui : «Tu es un monstre, mais tu es gentil» ; qu’il se mette à ce point en jeu dans un de ses films est la preuve de sa suprême maturité.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 5 janvier 2023 Une silhouette élégante de nonce apostolique ou de clergyman gravit des escaliers. « Ne vous y fiez pas, il est très drôle, il faut juste le lancer » nous glisse Louis Garrel juste avant notre entrevue avec Michele Placido qui vient de le diriger...
Mardi 26 avril 2022 Toujours là, ces types en costards Paul Smith et pompes en cuir qui brille. Toujours là, ces poignées de mains viriles à qui serrera le plus fort. Toujours là, (...)
Mardi 1 février 2022 Magicien du mouvement, Angelin Preljocaj incarne le nouvel « Art Total » du 21e siècle. Dans « Le Lac des Cygnes », l’immense chorégraphe fait décoller des corps-instruments, dégagés de la « gravité » terrestre.
Jeudi 30 décembre 2021 Adaptation d’un roman de Philip Roth qui lui trottait depuis longtemps en tête, la tromperie de Desplechin est aussi un plaidoyer pro domo en faveur du droit de l’artiste à transmuter la vérité de son entourage dans ses œuvres. Quitte à...
Lundi 3 janvier 2022 En ce mois de janvier, l’offre se polarise singulièrement sur des films traitant de réflexivité ou l’examen du passé. Il est parfois utile de faire le point face au miroir pour aller de l’avant…
Mardi 7 septembre 2021 Thésarde légère et court vêtue, Anaïs est plus ou moins en couple avec Raoul. Mais voici qu’elle croise Daniel, un quinqua séduit par sa fraîcheur. Anaïs n’est pas (...)
Mardi 7 septembre 2021 A l’invitation du maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, une quinzaine de compagnies de théâtre se sont retrouvées en Avignon, pour le festival auquel quelques-unes d’entre elles prenaient part. L’occasion de dresser ensemble un état des lieux et de...
Mardi 7 septembre 2021 L’amour a-t-il ses raisons que la raison ignore, et surtout, ses symptômes que la science ne peut expliquer ?  La neurologue Léa Paule se (...)
Mardi 7 septembre 2021 Une histoire d’amour homosexuelle, intense, sensuelle mais violente, dans la province des années 80. Une histoire racontée avec pudeur, nostalgie et (...)
Mercredi 9 septembre 2020 ★★★☆☆ De Jean-Paul Salomé (Fr., 1h30) avec Isabelle Huppert, Hippolyte Girardot, Farida Ouchani… Sortie le 9 septembre 2020
Mercredi 4 mars 2020   Monsieur Orgon veut marier sa fille Silvia à Dorante, le fils de l’un de ses amis. Mais, peu emballée à l’idée d’épouser un garçon à l’aveuglette, Silvia (...)
Mercredi 4 mars 2020 Superbe idée que de réunir en un même feu d’artifice le Concerto n°1 de Tchaïkovsky et la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Deux œuvres auxquelles doit (...)
Mercredi 16 octobre 2019 De Patrick-Mario Bernard & Pierre Trividic (Fr., 1h44) avec Jean-Christophe Folly, Isabelle Carré, Golshifteh Farahani…
Jeudi 19 septembre 2019 Ce devait être Bon Entendeur au Fil pour la soirée du 25 septembre dans le cadre de Sainté Accueille Ses Étudiants, ce sera finalement Folamour ! Qu'à cela ne (...)
Mardi 2 juillet 2019 Comme tous les ans, les grands noms du classique se donnent rendez-vous au pied des Alpes, pour célébrer l'alpha et l'oméga du romantisme français, le père de (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X