Début octobre dans la maison Ozon

Pendant longtemps, François Ozon se méfiait de la presse, des interviews et de la nécessité d’expliquer ses films. Depuis Potiche, on le sent plus détendu, plus sûr de lui et prêt à rentrer dans les méandres de son œuvre avec humour et malice. La preuve avec cet entretien. Propos recueillis par Christophe Chabert

On se dit en voyant Dans la maison que c’est le film où vous répondez le plus ouvertement aux reproches adressés à votre cinéma mais aussi où vous le définissez par rapport à la littérature, comme une théorie de votre pratique…
François Ozon : Au départ, c’est une pièce de théâtre, ce n’est pas moi qui l’ai écrite. Mais quand on fait une adaptation, c’est qu’on s’y retrouve, qu’il y a des choses qui vous plaisent. Ce qui m’a plus, c’est la relation prof-élève et que ce ne soit pas dans un seul sens, qu’il y ait une interactivité, que le gamin apporte autant au prof que le prof au gamin, cette idée de la transmission. Quant à répondre exactement à ce qu’on me reproche, c’est vous qui le dites, je ne l’ai pas théorisé.

Il y a quand même des dialogues qui évoquent le fait d’aimer ses personnages ou de les regarder de haut…
Ah ! Ce qui m’amusait dans tous ces trucs théoriques que dit le prof, c’est que ça me rappelait ces gens qui veulent donner des cours sur le scénario, ces théoriciens venus des Etats-Unis. Je lis ça et je n’arrive jamais à rentrer dans ce moule, cette méthode. Je sais que ce sont des cours qui fascinent et que tout le monde adore. Ça m’amuse car ce sont des mecs qui analysent les films après-coup, sans savoir qu’un film implique du montage, de la mise en scène. Ce qu’il faudrait, c’est analyser le scénario à la base. Quand on connaît la vie d’un film, surtout les films américains où l’on coupe énormément de choses au montage, où on a aucun scrupule vis-à-vis de cela, ça remet un peu en cause toutes leurs théories. Dans le film, il y a la théorie : quel doit être le rapport aux personnages ? Comment doit-on raconter une histoire ? Et puis la pratique, qui est toujours un peu différente. On sent ça dans le film : quand le personnage de Germain dit quelque chose au gamin, et que celui-ci fait exactement ce qu’il lui a dit, Germain n’est pas content non plus.

Avez-vous eu des mentors comme Germain peut l’être dans le film ?
Pas aussi fort que cela ! Mais j’ai eu des profs très importants pour moi : Rohmer, quand j’étais en fac, que j’ai eu pendant six mois. Il a su que je venais à ses cours quand je suis devenu un peu connu et surtout parce que je travaillais avec des acteurs qu’il a fait tourner, Marie Rivière, Melvil Poupaud… Éric Rohmer m’avait dit qu’il souffrait beaucoup que les acteurs de ses films ne soient pas réutilisés par d’autres metteurs en scène. Joseph Morder aussi a été important ; il donnait des cours en super 8, il nous obligeait à raconter les films en trois minutes, à faire un montage caméra, c’est-à-dire penser le film au moment du tournage. Et le troisième, c’est Jean Douchet, que j’ai rencontré au moment de la FEMIS. C’est de lui dont j’ai été le plus proche ; on se voit encore, on se parle, il vient voir régulièrement mes films.

Les références littéraires du film étaient-elles dans la pièce ?
Non. Il y avait des références trop pointues à la culture espagnole, à Cervantes par exemple. J’ai pris Flaubert parce que j’aime beaucoup, qu’il a une écriture behaviouriste et que ça correspond à quelque chose de très cinématographique. Il fallait trouver un livre pour assommer Fabrice, et l’idée est venue de façon assez naturelle… Quand, à la fin, il dit «C’est du Barbara Cartland», Fabrice avait proposé «C’est du Lelouch». On s’est dit, il est encore vivant, est-ce que ça vaut le coup d’être méchant ?

Dans le film, il y a deux voyeurismes qui se croisent : l’un dans l’observation, l’autre dans l’exploration…
La dernière séquence amène à ça. Elle n’était pas dans la pièce, mais pour moi c’était important de montrer leur besoin l’un de l’autre, et le besoin de se raconter des histoires, quitte à se brûler les ailes.

Il y a aussi un voyeurisme social…
Ça non plus ce n’était pas tellement développé dans la pièce, mais ça m’intéressait de montrer que ce gamin qui au début sort de nulle part ait une envie de normalité. Quand on est enfant, on veut des parents modèles, une famille idéale.

C’est le deuxième film que vous faites avec Mandarin productions, après avoir longtemps travaillé avec Fidélité. Qu’est-ce que ça a changé dans votre façon de travailler ?
Avoir plus d’échanges. Avec mes producteurs précédents, il y en avait très peu sur l’aspect artistique et sur le scénario. Mandarin est très investi sur le film. Ils m’emmerdent, d’une certaine manière, ils me poussent dans mes retranchements, ils se font l’avocat du diable, ils ont envie que mon film touche le public, et pas une niche. Ce que je comprends tout à fait. Ils me poussent à expliquer les choses, à aller au bout des scènes ; parfois, je les envoie balader, mais ça me travaille, j’y pense et c’est un vrai dialogue que je n’avais pas avec Fidélité.

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