Cogan

Exemple parfait d’une commande détournée en objet conceptuel, le nouveau film d’Andrew Dominik transforme son thriller mafieux en métaphore sur la crise financière américaine. Christophe Chabert

Brad Pitt en blouson de cuir avec un fusil à canon scié : c’est l’affiche de Cogan, et tout laisse à penser que ça va envoyer du bois. Générique : alors qu’on entend une déclaration de Barack Obama durant la campagne de 2008, une silhouette s’avance sous un hangar pour déboucher sur un terrain vague. Est-ce Brad ? Non, juste un petit voyou venu monter un coup avec un autre gars de son engeance. S’ensuit un dialogue coloré qui laisse à penser que ce Cogan sera en définitive plutôt dans une lignée Tarantino/Guy Ritchie. Un braquage en temps réel, filmé avec une certaine tension même si l’enjeu paraît étrangement dérisoire, contribue à brouiller encore les pistes. Quant à la star, au bout de vingt minutes, on ne l’a toujours pas vu à l’écran. Lorsqu’elle débarque, c’est pour aller s’enfermer dans une voiture et discuter à n’en plus finir avec un type en costard cravate officiant pour les pontes de la mafia (génial Richard Jenkins, au passage). À cet instant, le spectateur doit se rendre à l’évidence : Cogan n’est pas plus un polar que le précédent film d’Andrew Dominik, L’Assassinat de Jesse James, n’était un western. En bon cinéaste arty, l’Australien a autre chose en tête que de s’appesantir sur une intrigue qu’il envisage avec une nonchalance rarement vue.

Fond Mafieux International

De fait, c’est bien la crise financière qui a fait trembler les États-Unis en 2008 que nous raconte Dominik, à travers une vaste métaphore qui ferait des gangsters tour à tour des agents perturbateurs du système et des garants venus en rétablir le bon fonctionnement. Au départ, une tricherie commise par un petit escroc malin — Ray Liotta, comme rescapé provisoirement des Affranchis — qui s’ébruite dans le milieu et pousse des gangsters encore plus minables à en profiter. Alerte rouge au sommet : il faut rétablir un ordre menacé par les agissements anarchiques de la base, plutôt que de chercher à réparer les failles du système. Cogan ressemble ainsi à ces agents du FMI venus restaurer la confiance de ceux qui ont contribué à la détruire en réclamant de l’austérité et la tête des coupables. Le personnage de tueur alcoolique et amateur de putes incarné par l’excellent James Gandolfini symbolise ainsi cette dérive globale où le fonctionnement d’une organisation économique reposant sur un libéralisme effréné ne crée plus que des individus égoïstes et incontrôlables. En filigrane, c’est le portrait d’un pays à la dérive que tire Dominik, où l’argent fait loi («Fuck you, pay me !» : dernière réplique) et où la politique a depuis longtemps baissé les bras. Ouch !

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