Le Hobbit : un voyage inattendu

Premier volet d’une nouvelle trilogie adaptée de Tolkien par Peter Jackson, «Le Hobbit» fait figure de longue exposition délayant un matériau moins passionnant que celui du «Seigneur des Anneaux», sauvé dans sa dernière partie par une mise en scène assez virtuose. Christophe Chabert

À sa sortie, Le Seigneur des anneaux ressemblait à un pari un peu fou : une trilogie tirée de Tolkien par un cinéaste néo-zélandais jusqu’ici connu pour des films gore potaches, s’attaquant à un monument de la contre-culture et de l’héroïc fantasy dont personne ne savait, à l’époque, s’il était capable de dépasser son cercle de fans. Dix ans plus tard, la donne a bien changé : reconnu à la fois par le public, la critique et même par les oscars, Jackson retourne en Terre du milieu avec une nouvelle trilogie en forme de flashback. Littérairement, Bilbo le Hobbit est une œuvre qui préfigure la mythologie du Seigneur des anneaux, écrite des années auparavant, et qui se retrouve, cinématographiquement parlant, dans la situation inverse : une prequel dont on attend qu’elle s’inscrive dans la lignée d’une saga à la mythologie désormais connue de tous, ou presque.

Bilbo et les douze nains

C’est évidemment là que le bât blesse : en cherchant à donner la même ampleur à ce récit d’aventure reposant sur les principes basiques de la naissance d’un héros selon Joseph Campbell, Jackson en est fatalement réduit à tirer à la ligne. Passé un prologue très spectaculaire, il se lance ainsi dans une longue et fastidieuse exposition en quasi-temps réel et il le fait avec une décision totalement contreproductive : la rencontre entre Bilbo et les nains d’Eredor contraints à une longue errance, leur royaume spolié par un dragon avide d’or, se fait sur un ton de comédie qui laisse pour le moins perplexe, et qui souligne le caractère mineur du matériau traité. Le choix de Martin Freeman, excellent acteur mais dont le registre comique est à l’inverse de la fragilité d’Elijah Wood, va dans le même sens. C’est peu dire que la comédie n’est pas le fort de Jackson — et c’est encore pire quand il en passe par la comédie musicale au cours d’une séquence très Disney à base d’assiettes volantes ! Quand l’équipe prend enfin la route, le récit d’aventures promis peut commencer. Ou presque. Écrit comme une série dont on aurait soudé ensemble trois épisodes de cinquante-deux minutes, Le Hobbit doit, dans sa deuxième partie, encore en passer par une sorte de visite à rebours de la première trilogie : la longue séquence chez les elfes ne semble là que pour assurer le fan service minimum, avec notamment un Christopher Lee qui a l’air d’avoir été repassé numériquement — symptomatiquement, il n’a presque pas droit aux gros plans que Jackson affectionne pourtant. Idem pour la figure du magicien solitaire se déplaçant dans un traîneau tiré par des lapins (!), pièce pittoresque ajoutée à l’univers qui, à l’arrivée, emmène l’ensemble vers une autre forme de puérilité. Ce deuxième acte frappe aussi par l’abandon de son personnage principal délaissé au profit du magicien Gandalf, Bilbo étant incorporé à la compagnie des nains sans jamais y trouver sa place.

Du souffle, enfin

Alors qu’on s’apprête à rendre les armes, Jackson parvient enfin à nous cueillir avec une séquence sans équivalent dans la précédente trilogie : l’affrontement titanesque entre des géants de pierre sous un orage diluvien qui met en danger les héros. La virtuosité de la mise en scène est alors indéniable, mais plus encore, une poésie noire se dégage de la scène. Est-ce l’apport de Guillermo Del Toro, qui a longtemps développé le projet avant que Jackson ne décide d’en reprendre les commandes ? On ne se hasardera pas là-dessus, d’autant plus que la fin du Hobbit parvient à conserver ce souffle qui jusqu’ici lui manquait cruellement. On y trouve à nouveau des longueurs, notamment au cours de la rencontre entre Gollum et Bilbo, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne cherche pas l’économie narrative ; mais on y voit aussi des séquences authentiquement spectaculaires, des monstres surprenants et des enjeux qui, à défaut d’être originaux, ont au moins le mérite d’une certaine clarté. Curieux, tout de même, d’avoir à attendre près de deux heures pour comprendre l’intérêt, autre que purement commercial, d’un tel projet ; curieux aussi de se dire qu’il faudra encore deux volets pour aboutir à une issue que l’on devine aisément. En cela, Le Hobbit peut se voir comme un voyage à rebours de son sous-titre, ne relevant pas de l’inattendu, mais au contraire de la satisfaction pure des fans qui désiraient revenir faire un tour en territoire connu, pour valider l’illustration littérale d’une prose qu’ils connaissent déjà par cœur. Jackson a donné à l’héroïc fantasy son premier film karaoké.

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