No

Le référendum de 1988 au Chili, pour ou contre le dictateur Pinochet, raconté depuis la cellule de communication du «Non» et son publicitaire en chef, ou quand la radicalité formelle de Pablo Larraín se met au service d’un véritable thriller politique, haletant et intelligent. Christophe Chabert

Format carré, couleurs baveuses, image dégueu : on se demande d’abord si, à l’ère de la projection numérique, l’opérateur ne nous a pas joué un sale tour en glissant une vieille VHS dans un magnétoscope acheté sur Le bon coin. L’arrivée à l’écran de Gael Garcia Bernal achève de semer la confusion, et pour peu que l’on ne sache rien de ce que No raconte, on est en droit de se demander où Pablo Larraín veut nous emmener. Pourtant, tout va finalement faire sens. L’auteur de Tony Manero et Post Mortem, Santiago 73, achève avec No une trilogie sur l’histoire du Chili sous Pinochet, et sa radicalité formelle trouve ici une justification nouvelle. Nous sommes en 1988 et, face à la pression populaire, le dictateur fait un geste d’ouverture en organisant un référendum pour approuver ou rejeter sa présidence. L’opposition fait appel à un jeune publicitaire, René Saavedra, pour monter la campagne du «Non» à Pinochet. Celui-ci, ni particulièrement politisé, ni franchement hostile au régime, accepte pour une raison qui lui est propre : son patron, solidement assis sur son siège de chef d’agence, va piloter la campagne du «Oui». Pour lui, le défi est donc avant tout de faire chuter cette autorité-là avec ses propres armes, autant que de faire tomber le colonel tout puissant.

Coups (de pub) pour coups

No est donc une histoire d’images, une lutte qui se fait à coup de spots télés, chaque camp répondant à l’autre sur le terrain encore vierge de la communication politique. Larraín reconstitue l’époque mais surtout en reproduit l’environnement audiovisuel, imitant sa forme pour pouvoir y fondre de manière invisible images d’archive et authentiques clips de campagne. Le résultat est non seulement bluffant, mais au moins aussi immersif que le Révélations de Michael Mann. No avance ainsi à la vitesse d’un bon thriller, avec son suspense, ses urgences, ses coups de théâtre et ses coups de bluff. Surtout, comme récemment le Lincoln de Spielberg, le film montre que les avancées démocratiques se font parfois avec des objectifs qui n’ont rien à voir avec le bien public ou des manipulations aussi peu ragoûtantes que celles du camp d’en face. On s’amusera cependant des arguments des pro-Pinochet, pas éloignés du tout de ceux de l’UMP aujourd’hui, preuve que les communicants ne débordent pas d’originalité et ne savent visiblement manier qu’un seul levier : celui de la peur.

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