The Place beyond the pines

The Place beyond the pines
De Derek Cianfrance (ÉU, 2h20) avec Ryan Gosling, Bradley Cooper...

Après «Blue valentine», Derek Cianfrance retrouve Ryan Gosling pour un ambitieux triptyque cherchant à ranimer la flamme d’un certain cinéma américain des années 70 tout en en pistant l’héritage dans l’indépendance contemporaine. Pas toujours à la hauteur, mais toutefois passionnant. Christophe Chabert

The Place beyond the pines est un geste inattendu de la part de Derek Cianfrance. Un peu plus de deux ans après Blue Valentine qu’il avait, rappelons-le, mis près d’une décennie à accoucher, le voilà qui passe un sacré braquet et propose une œuvre éminemment romanesque, à la construction extrêmement ambitieuse et, de fait, très éloignée de son film précédent. Car quelle que soit l’affection que l’on ressentait pour Blue Valentine, celui-ci valait surtout pour la complicité entre ses deux comédiens, Michelle Williams et Ryan Gosling, et par le petit parfum arty qui se dégageait de ce mélodrame dans le fond très calibré Sundance.

Gosling est à nouveau le «héros» de The Place beyond the pines, Luke, et son arrivée à l’écran rappelle celle de Mickey Rourke dans The Wrestler : un long plan séquence en caméra portée qui l’escorte de dos d’une caravane vers un chapiteau où ce motard casse-cou effectue une cascade dangereuse en tournant dans une cage sphérique avec trois autres motos vrombissantes. Ce naturalisme objectif à la Dardenne, nappé d’un spleen très cinéma indépendant, convient parfaitement à la désormais rituelle retenue de jeu de Gosling ; comme pour souligner cette absence d’émotions, Cianfrance a tatoué sous l’œil de Luke un poignard d’où coule une goutte de sang, mais qui pourrait bien être aussi la larme qu’il se refuse obstinément à laisser échapper. Même quand il découvre qu’une de ses groupies — Eva Mendes — croisée au gré de sa tournée a eu un enfant de lui, il ne manifeste ni enthousiasme, ni regret. Comme sur un coup de tête, il décide de reprendre sa place paternelle, pourtant déjà occupée par un nouvel amant bien sous tous rapports, à l’opposé du marginal qu’il représente.

Luke la main froide

On s’est permis de mettre des guillemets lorsqu’on a traité Luke de héros. Car c’est plutôt un anti-héros, une réminiscence magnifique de ceux qui hantaient les films du Nouvel Hollywood dans les années 70. Luke traîne dans son sillage une poisse indélébile qui transforme chacune de ses initiatives en catastrophe, et affiche une constance dans l’erreur de jugement et l’aveuglement qui lui dessine une issue évidemment bouchée.

Lorsqu’il croise un garagiste échoué au milieu de la forêt, ex-taulard spécialisé dans le cambriolage de banque, il pense trouver là un sésame pour amasser l’argent qui lui permettra d’offrir à son fils la vie qu’il mérite. Mettant son talent de pilote au service d’une série de hold-up filmés avec une urgence impressionnante — on n’imaginait pas, là encore, Cianfrance aussi à l’aise dans la mise en scène des séquences d’action — Luke va mettre le ver dans le fruit : une liasse de billets qui va passer de mains en mains et circuler tout le long du récit comme une malédiction affectant ses personnages.

En raconte-t-on trop ? Non, loin de là… Car The Place beyond the pines repose sur une série de ruptures scénaristiques parfaitement orchestrées, si bien que le spectateur ne sait jamais exactement où Cianfrance va l’embarquer. Notamment avec l’entrée en scène du flic ambivalent incarné par Bradley Cooper — plutôt bien, en tout cas plus expressif que dans Happiness therapy — à la fois droit dans ses bottes pour dénoncer la corruption ambiante et dévoré par son ambition, prêt à tout pour gravir les échelons qui le conduiront aux sommets politiques. Cette figure est elle aussi héritée du cinéma américain des années 70, notamment de Sidney Lumet, et avec elle le projet de Derek Cianfrance se révèle un peu plus clairement.

Sur le bord de la route

Arrivé au bout de cette œuvre conçue en triptyque — le dernier volet est de toute évidence le moins réussi, le spectateur ayant d’un seul coup cinq bonnes minutes d’avance sur le scénario, jusqu’ici imprévisible — on mesure l’ambition du cinéaste. Elle consiste à reprendre les choses là où Schatzberg, Hopper ou Sarafian les avaient laissées, c’est-à-dire un cinéma où le hors-la-loi, l’arriviste et l’enfant perdu deviennent des repères identificatoires plus forts que les personnages en béton armé qui fournissent l’ordinaire du divertissement mainstream.

The Place beyond the pines revendique ainsi tout du long son point de vue à hauteur d’hommes faillibles, guidés par leurs désirs et leurs pulsions plutôt que par des idéaux. Cianfrance ne s’en tient pas à ce revival nostalgique et, dans le dernier mouvement, essaie de raccrocher les wagons avec une imagerie du film d’ados contemporain tendance Gus Van Sant ou Larry Clark. On l’a dit, le geste est beau, même s’il est imparfait et témoigne d’une volonté un peu trop ouverte de fermer le récit à triple tour, là où on aurait aimé le voir se suspendre. Mais cette fin décevante n’écarte pas le sentiment que Derek Cianfrance fait désormais partie des cinéastes américains à suivre de très près.

The Place beyond the pines
De Derek Cianfrance (ÉU, 2h20) avec Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes…

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