Jacky au royaume des filles

Jacky au royaume des filles
De Riad Sattouf (Fr, 1h30) avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg...

Après Les Beaux gosses, Riad Sattouf monte d’un cran son ambition de cinéaste avec cette comédie sophistiquée, aussi hilarante que gonflée, où il invente une dictature militaire féminine qu’il rend crédible par des moments de mise en scène très inspirés… Christophe Chabert

Il était une fois la République Démocratique de Bubune, où les femmes ont le pouvoir qu’elles exercent par la force, où les hommes sont réduits à porter une proto-Burka (la «voilerie»), où les pauvres mangent une bouillie immonde plutôt que des «plantins»… L’autarcie de cette dictature militaire et féminine est aussi un principe de mise en scène pour Riad Sattouf : pas de contrechamp sur l’extérieur (simplement appelé «l’étranger»), mais une immersion dans ce monde créé de toutes pièces, où l’on s’amusera à pister les éléments prélevés dans des pays existants.

Il y a donc un peu de Corée du Nord, d’Iran façon Ahmadinejad et de Russie poutinienne, ou encore d’Inde à travers les castes et les vaches sacrées ici transformées en «chevallins». L’environnement de cette comédie hallucinante et hallucinée est tenue d’un bout à l’autre avec sa calligraphie, son Histoire, son langage, et il n’y a qu’à y propulser un héros sans qualité, Jacky (Vincent Lacoste, le Bernard Menez des années 2000), qui se masturbe en pensant à la Colonel promise à prendre le pouvoir (Charlotte Gainsbourg, aussi géniale et troublante ici que chez von Trier), et dont elle pourrait faire son «grand couillon» si elle le choisit lors d’un immense bal des célibataires…

Nous y en a vouloir des couillards

Fier de ses bricolages déconnants dignes des meilleures planches de Pascal Brutal — les fausses actus, la sitcom avec l’acteur-star Mit Kronk — Sattouf suit pourtant une ligne étonnamment cohérente dans laquelle il peut jouer à loisir avec des seconds rôles formidablement campés par un casting magistral. Si la présence de Michel Hazanavicius en prostitué révolutionnaire tisse une évidente filiation avec sa propre approche de la comédie dans les OSS 117, c’est un plaisir inattendu de redécouvrir le génie comique d’un Didier Bourdon, prodigieux en «gueusard» veule et méchant.

Plus encore, Sattouf s’autorise de vrais moments de sidération grâce à une mise en scène très soignée, qui culmine lors du bal où le vertige gagne face à ces centaines d’hommes voilés de blanc remuant frénétiquement le cadenas de leur laisse. S’il fallait trouver un ancêtre à cette satire pop subversive sans être gratuitement provocatrice, ce serait du côté des films de Jean Yanne ; mais un Jean Yanne qui aurait l’ambition cinématographique de Carax dans Holy Motors. En tout cas, Riad Sattouf vient de mettre la barre de la comédie française à un niveau où on ne l’espérait plus…

Jacky au royaume des filles
De Riad Sattouf (Fr, 1h30) avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 26 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été,  Amanda…) en restitue deux : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une fois encore, le prodige de son alchimie teintée...
Mercredi 9 mars 2016 Le millésime 2016 des plus illustres cinéastes grolandais est arrivé, et il n’a rien d’une pochade : derrière son nez rouge de clown, Saint Amour dissimule une histoire d’amour(s) tout en sobriété.
Mercredi 17 février 2016 De Danielle Arbid (Fr., 1h59) avec Manal Issa, Vincent Lacoste, Damien Chapelle...
Mercredi 29 avril 2015 À partir d’un matériau ouvertement intimiste et psychologique, Wim Wenders réaffirme la puissance de la mise en scène en le tournant en 3D, donnant à cette chronique d’un écrivain tourmenté des allures de prototype audacieux. Christophe Chabert
Mardi 14 octobre 2014 Retour du duo gagnant d’Intouchables, Nakache et Toledano, avec une comédie romantique sur les sans papiers où leur sens de l’équilibre révèle à quel point leur cinéma est scolaire et surtout terriblement prudent. Christophe Chabert
Mercredi 3 septembre 2014 Dans une séquence élégamment distanciée, les personnages d’Hippocrate, tous médecins ou infirmiers, internes, externes ou chefs de service, se retrouvent (...)
Lundi 14 avril 2014 De Michel Spinosa (Fr, 1h47) avec Yvan Attal, Janagi, Charlotte Gainsbourg…
Lundi 27 janvier 2014 Fin du diptyque de Lars von Trier, qui propulse très haut sa logique de feuilleton philosophique en complexifiant dispositif, enjeux, références et discours, prônant d’incroyables audaces jusqu’à un ultime et sublime vertige. On ose : chef-d’œuvre...
Vendredi 3 janvier 2014 Après une année 2013 orgiaque, 2014 s’annonce à son tour riche en grands auteurs, du maître Miyazaki à une nouvelle aventure excitante de Wes Anderson en passant par les vampires hipsters croqués par Jarmusch et les flics tarés de Quentin Dupieux…...
Lundi 23 décembre 2013 Censuré ? Remonté ? Qu’importe les nombreuses anecdotes et vicissitudes qui entourent le dernier film de Lars von Trier. Avec cette confession en huit chapitres d’une nymphomane — dont voici les cinq premiers, le cinéaste est toujours aussi...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X