Jimmy's Hall

Jimmy's Hall
De Ken Loach (Fr-Ang, 1h49) avec Barry Ward, Simone Kirby...

Ken Loach retrouve sa meilleure veine avec ce beau film autour d’une utopie réconciliatrice dans l’Irlande du Nord encore meurtrie par la guerre civile, ruinée par les archaïsmes de l’église et l’égoïsme des possédants. Christophe Chabert

On avait hâtivement présenté Jimmy’s Hall comme une suite au Vent se lève de la part de Ken Loach et de son fidèle scénariste Paul Laverty ; ce qu’il est sans l’être, au final, puisque s’il prolonge historiquement l’exploration de l’Irlande du Nord traumatisée par sa guerre civile, il le fait avec une humeur nouvelle. Tout tient finalement dans l’ellipse qui sert d’introduction mais aussi de parenthèse dans la vie de son héros Jimmy Gralton : ce militant communiste a passé dix ans comme ouvrier en Amérique et revient dans son Irlande natale chassé par la crise économique. La situation politique s’est en apparence pacifiée, même si les divisions au sein du peuple restent fortes.

Loach choisit pourtant de montrer que cette fracture en dissimule une autre, reproduction de celle qui taraude son cinéma depuis ses débuts : c’est avant tout une question sociale, morale et culturelle. C’est à cela que va s’atteler Gralton : combler le fossé qui sépare générations, confessions et classes, à travers un lieu symbolique, un dancing abandonné qu’il transforme en foyer d’éducation populaire et de fête laïque.

Jazz, whisky et lutte des classes

Jimmy’s Hall se nourrit de cette utopie pour offrir à Ken Loach un territoire qu’il affectionne : un endroit de parole et de débats, de frictions et de communions. Il lui en oppose un autre, menaçant : l’église du coin et son curé borné, qui condamne les idées de Jimmy et son goût pour le jazz. Aux scènes aérées, vibrantes et solaires qui réunissent Gralton et ses amis répondent les prêches claustros et guindés du prêtre. Dans un mouvement dialectique inattendu, lorsque les deux se rencontrent, se dessine une forme d’entente et de respect. Il y a encore une place pour le dialogue entre le religieux et l’athée et Jimmy’s Hall trouve alors des accents fordiens, laissant espérer que malgré ses divergences de vue, la communauté parviendra peut-être à se ressouder.

La lucidité, carburant des meilleurs films de Loach, reprend le dessus dans une dernière partie nettement plus âpre où les propriétaires et aristocrates décident de mener la vie dure à Gralton et à ses idées socialistes. Si le portrait des «ennemis» est sommaire, le constat reste éminemment contemporain : pas de place pour les esprits libres, la culture et l’éducation dans un monde guidé par l’argent et les égoïsmes individuels. Loach prend acte mais ne baisse pas les bras ; Jimmy’s Hall croit dur comme fer que la jeunesse et la joie finiront tôt ou tard par faire table rase des pulsions conservatrices qui les étouffent.

Jimmy’s Hall
De Ken Loach (Ang-Fr, 1h49) avec Barry Ward, Simone Kirby…

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