Les amours perdues

À Cannes, où les arnaques étaient légions, le pompon semblait avoir été atteint par Ryan Gosling et son premier film Lost River. Présenté à Un certain regard, il faisait figure de délire mégalo d’un comédien pressé de rendre hommage à ses maîtres plutôt que de livrer une œuvre cohérente et aboutie. Comme Gosling n’est pas le dernier des idiots, il a eu la modestie d’écouter les retours qui lui ont été faits et de revoir sa copie. Avec 17 minutes en moins, Lost River débarque en salles le 8 avril sous un tout autre jour, nettement plus recommandable. Certes, on y sent encore les influences du garçon — Argento, Malick, Lynch et, bien sûr, Winding Refn ; certes, il reste encore ici et là des longueurs ; mais la narration s’est recentrée autour du combat mené par Bones, un adolescent cherchant du cuivre dans les ruines de Detroit, pour sauver sa mère (Christina «Mad men» Hendricks) des griffes d’un propriétaire de club pervers. C’est surtout l’inspiration visuelle du film qui séduit : bien aidé par son chef opérateur Benoît Debie, Gosling se laisse aller à une forme de poème cinématographique à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar, le conte pour enfants et le film d’horreur.

L’intime en 3D

On pensait que Wim Wenders n’avait plus d’autre ambition que de tourner des documentaires arty consacrés à de grandes figures artistiques (Pina Bausch ou Sebastiao Salgado) ; or, Every thing will be fine (22 avril) marque son retour en forme dans le domaine de la fiction. Un retour paradoxal, à l’image d’un film vraiment curieux, puisque Wenders a choisi de tourner en 3D ce mélodrame intimiste où un écrivain en panne et paumé sentimentalement va retrouver l’inspiration et mettre de l’ordre dans sa vie suite à un accident tragique. Les faiblesses d’un script inutilement psychologique et bavard — même si le portrait de cet homme (James Franco) dont l’épanouissement social et personnel le coupe peu à peu des autres et du monde est parfois bouleversant — sont compensées par une mise en scène souvent extraordinaire. Wenders utilise ainsi la 3D pour repenser la profondeur de champ, le travelling, le gros plan, comme autant de figures picturales saisissantes.

Gosling et Wenders ont l’envie manifeste d’apporter leur pierre au cinéma contemporain ; le Québécois Stéphane Lafleur a surtout eu l’ambition avec Tu dors Nicole (1^er avril) de réaliser un film simple et immédiat, ce qui n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. Il filme donc en noir et blanc une jeune femme de 20 ans qui, à la faveur de l’été, d’une maison parentale désertée et d’une nouvelle carte bleue, va tenter de conjurer ses insomnies et de trouver sa place dans cette banlieue de Montréal plutôt déprimée. Quelque part entre le Jarmusch des débuts et Frances Ha, Tu dors Nicole regorge d’idées ludiques, de détails touchants et dégage une fraîcheur bienvenue en ce début de printemps.